Discussion:Musilinguistique : Un nouvel ouvrage : Différence entre versions

De Witno
Aller à : navigation, rechercher
(Habilitation André-Marie DESPRINGRE, Paris IV Sorbonne. Introduction ou exposé oral))
 
(Aucune différence)

Version actuelle datée du 1 mai 2019 à 12:10

Voici le texte de présentation orale de ma problématique "musilingue"

à Paris IV Sorbonne, lors de mon Habilitation (HDR, 1995)

1 André-Marie Despringre, ethnomusicologue, Habilitation soutenance Paris IV, Sorbonne, du 9 Mars 1995


Poésies chantées populaires des pays de France

Analyse et interprétation

(Itinéraire, démarche, objet d’étude, hypothèse et questionnements, premiers résultats)

1. Itinéraire Recherche commencée il y a 25 ans. Des enregistrements sonores et vidéographiques, de centaines de pièces chantées et aussi instrumentales 1970/80, avant la thèse, — ethnographie et monographie des chants du Ht Jura, — enquêtes sur les fêtes et carnavals du Nord de la France, - classement des rites et transcrit les textes flamands et leurs musiques, - procédé à quelques analyses musicales mais peu d’interprétation n’étaient possibles à l’époque. 1980/85 : acquisition des méthodes structurales d’analyse au département d’ethnomusicologie du Lacito dirigé par S. Arom. Musilingue

Après la soutenance d’une thèse d’ethnologie à Paris V, une ouverture vers l’analyse formelle des chants a été possible par mon organisation de rencontres systématiques avec des ethnolinguistes, métriciens et ethnologues. J’ai lancé depuis 1986, Musilingue, groupe interdisciplinaire de recherche qui évolue vers une musilinguistique en cherchant à mieux décrire la dialectique langue/musique dont N. Ruwet précisait qu’elle était de nature anthropologique. On se réfère régulièrement à ce courant dans les articles et ouvrages qui sont au nombre d’une trentaine. Je considère aussi, avec J. Molino, que l’ethnolinguistique tout comme l’ethnomusicologie, sont des disciplines frontières que j’associe pour décrire et interpréter le chant populaire français.

Les limites disciplinaires sont alors données par chaque chercheur qui les établit selon sa compétence et son sujet, elles peuvent renouveler la linguistique et la musicologie par l’introduction de la démarche anthropologique. L’évaluation du sujet de la thèse avait été faite par des représentants de trois spécialités : sociologie, ethnologie, musicologie.

2 Ce qui m’avait alors frappé c’est que l’attente scientifique de chacun de ces spécialistes se manifestait plus en fonction de leur propre discipline qui, de fait, traversait l’objet “chant populaire”, qu’en fonction de l’existence d’une dialectique interne au sujet. Cependant j’ai partiellement poursuivi dans le sens que l’on me demandait : en musicologie : j’ai présenté l’hymnodie comparée du chant des géants de Cassel, Reuzelied dont nous allons reparler ;

j’ai démontré l’utilité des analyses structurales de la musique, pour la description et le fonctionnement de cet hymne, de tradition orale et écrite, à la fois :

en linguistique, j’ai publié un article sur les langues des chants de Flandre ;

en ethnologie : j’ai poursuivi les premières investigations dans la mesure où celles-ci pouvait aider à l’interprétation des données formelles : les grands paradigmes soulignés par G. Balandier : par ex. sur l’ordre opposé au désordre de la fête, sur l’institué en contraste avec le spontané, etc. ces deux points ont fait l’objet de nouvelles recherches.

Tout ce que la réalité festive montre comme processus symbolique qui fonctionne sur le même principe que les formes musicales a été collationné : j’ai pu ainsi montrer, par ex. que le pot-pourri de chants et de musique était à l’image de la réalité carnavalesque, c’est-à-dire composite et hétérogène.

L’avantage de cette prise en compte des contextes et des situations de musique devrait permettre d’interpréter les glissements sémantiques qui s’opèrent au cours de rites similaires à l’intérieur des contenus des textes de chants. Il a offert, en outre, un angle d’approche plus original du passage du profane au religieux et réciproquement.

Il y a donc eu continuité dans le développement de la recherche qui a suivi la thèse mais une obsession demeure : comment mieux décrire les formes poético-musicales ?

2. La démarche

J’ai inscrit sur la synthèse cette phrase de M. Jousse qui résume ma démarche : Le véritable observateur fait la synthèse d’abord car il ne peut rien observer qui ne fasse partie d’un tout. Mais après il revient vérifier et confirmer chacun des gestes dans le détail. Alors se fait la vérification. Je considère que le véritable travail scientifique a pour moi commencé en 1985, avec le souci constant d’échapper à l’empirisme, d’affiner mes outils d’analyse et mes concepts, de rechercher la pertinence des objets d’étude, bref de m’inscrire dans une recherche à la mesure du sujet, qui dépasse largement l’ethnomusicologie mais qui précisait mieux les frontières de cette discipline qui n’est nullement appelée à parler de tout. 3. En quoi consiste donc cet objet d’étude ?

Dans le cadre de la triade sémiotique Percéenne, présentée dès l’introduction de la thèse, je me suis progressivement limité aux formes chantées de quelques pays de France et consacré à leur description. Le propre de ces formes artificielles, que Paul Grice oppose aux formes dites naturelles de la conversation, c’est qu’elles sont inégalement liées aux situations de communication, la fonction de leur musique est essentiellement motrice et/ou émotionnelle. Leur principale caractéristique est qu’elles suscitent des réactions affectives sur les récits qu’elles véhiculent ou sur leur objet. Elles se distinguent des formes parlées par la très grande récursivité de leurs structures qui donnent un accès direct aux états mentaux des interprètes et de leurs antécédents.

3.1. transparent 1

Voici l’exploration empirique préliminaire sur les répertoires festifs en flamand telle qu’elle figure dans la thèse : . Quitter l’empirisme c’est renoncer momentanément à ce qui avait fait le succès des premiers folkloristes d’Europe centrale : les gros corpus traités globalement selon des grilles comportant des critères d’analyse issus de la musique et de la littérature savantes. Ce type d’approche, faute de méthode adéquate, a été poursuivi trente ans durant par les chercheurs CNRS du MNATP. Je récuse également l’existence de critères de classification se fondant sur la distinction formelle, non prouvée, entre répertoires anciens et répertoires modernes dans la mesure où j’observe une évolution et des transformations dans les structures et les formes issues de mêmes chants et évoluant dans des sphères culturelles différentes au cours de plusieurs siècles. J’ai donc vécu cette tradition des folkloristes comme un obstacle épistémologique ;

Arrivant au LACITO, je prenais conscience que l’on pouvait éviter momentanément les études formelles globales et statistiques, j’oubliais ainsi le mythe de l’existence de formes stables indéfiniment variées, pouvant faire l’objet d’une classification. Je réduisais par conséquent mes ambitions pour classer mes enregistrements en fonction d’objectifs scientifiques mieux délimités, de problèmes intéressants (selon la suggestion de N. Ruwet).

L’approche percéenne, sous-tendant les problèmes musicaux que je me proposais de résoudre, peut être résumée, grosso modo, de la manière suivante, dans son adaptation à la musique et par exemple à l’un de ses paramètres musicaux les plus importants, le rythme : Le rythme comme tout objet symbolique est envisagé ici comme "signe" au sens large, (Umberto Eco, 1980, 1992), renvoyant 1/ à un fondement (signe antérieur ou pure possibilité expressive), 2/ à une réalisation factuelle ou objet, immédiat et dynamique, enfin 3/ à un interprétant, processus de médiation entre le fondement et l'objet qui, soit explique soit est la cause de l'aspect dynamique de la trace, c'est-àdire de l'objet rythmique perçu.

4 La signification

C'est un processus [...] une dynamique, un mouvement qui rythme la construction du monde [...], l'infinité de ce processus, Peirce l'appelle sémiosis illimitée.

Le point central autour duquel se construit cette problématique, c'est le rapport entre le sens saisi comme un fait, une valeur arrêtée et la signification donnée précisément comme le processus d'engendrement du sens . C’est une approche plus précise du sens que nous faisons nôtre en appliquant cette triade sémiotique à chaque paramètre du chant qu’il soit poétique, mélodique ou contextuel.

1. Approche formaliste

Transparent 2. En revenant de noces (Ex sonore)

Illustration de l’impossibilité d’interpréter une forme chantée considérée au seul plan formaliste :

2. Comment déterminer la pertinence d’un problème à étudier ?

Il s’agit de mettre les formes en correspondance avec des contextes à reconnaître et à décrire Les critères que je retiens pour cerner cet objet et les possibilités de questionnement sont les suivants : un bon nombre de versions enregistrées, une documentation comparative fondée sur des transcriptions des folkloristes, une abondante connaissance imprimée sur une tradition particulière, enfin une bonne historicité des rites et des chants fondée sur l’existence de bons documents antérieurs.

Ière tentative de corrélation forme/contexte

Chant corrélée au travail,

Transparent n° 3 : ritournelle sur un métier à tisser.

Chant historique, Transparent n° 4 : le Reuzelied (100p. d’analyse) Étude synchronique comparée à des formes historiquement marquées par d’autres courants idéologiques (Ex sonore).

D’autres relations ont été établies entre, par exemple, les répertoires germanophones de la Saint-Martin et la folklorisation du mythe de ce saint...

Ponctuellement et parallèlement, j’ai abordé des sujets plus ethnologiques comme la confusion des genres, la communication chantée, la survie de la musique bretonne, l’éthique professionnelle etc.

4. l’Hypothèse et ses questionnements possibles

Par hypothèse, j’ai donc refusé catégoriquement l’approche formaliste, qui fait du chant populaire et de la musique un pur objet méthodologique, en glissant vers une ontologie qui interdit toute interprétation ethnologique de ces formes. J’ai préféré poser qu’il faut une connaissance la plus complète possible des contextes liés à une forme chantée et que pour cela il faut avoir recours à d’autres spécialistes, linguistes et anthropologues.

5 L’avantage de ce point de vue a été de permettre d’affiner et de coordonner certains outils d’analyse, d’exploiter une plus large documentation comparative, formelle et situationnelle, centrée autour du problème retenu, de cerner enfin les fondements cognitifs du chants mettant ainsi en évidence la nature des relations qui existe entre ce fondement et les réalisations chantées. Ces liens se font entre la musique et la langue, la musique et la poétique, la musique et les mentalités locales, la musique et le geste. On aboutit ainsi à mieux isoler ce qui revient au style oral et plus finement au style local, différent du voisin. Cette perspective n’est qu’à peine ébauchée mais pourra mieux fonctionner dans la mesure où les chercheurs de plusieurs disciplines s’associeront et seront suffisamment soutenus par les institutions.

Les analyses des contenus littéraire ont été fondées sur les méthodes pratiquées en littérature orale (V. Propp et R. Barthes), celle de la musique s’inspirent directement du modèle phonologique de la paradigmatique et des méthodes distributionnelles. Ainsi, l’analyse structurale qui rendait sceptique le musicologue du jury de thèse, s’est considérablement développée, renforçant les possibilités de démonstration et d’explication.

Voici donc quelques résultats d’observations obtenues en considérant le seul rapport Texte/musique ou Langue/musique

5. Résultats : Mélodies et paroles

Dans les chants populaires on constate l’existence de structures rythmiques qui forment système, de structures mélodiques organisées aussi en systèmes mais peu hiéarchisées ou codées, enfin de structures poétiques, découpées par l’assonance, davantage que par le nombre de syllabes. L’alternance fréquente de vers à terminaison masculine et féminine, est une empreinte que peut modeler un rythme musical. Le chant montre ainsi une combinaison de systèmes ordonnés par la répétition de leurs éléments, à l’intérieur de chaque système. A un niveau supérieur, les trois systèmes entre eux : poétique, mélodique et rythmique se combinent entre eux. Par ailleurs, certaines concordances entre la segmentation mélodique et celle des paroles sont parfois très frappantes, la succession des vers comme des mélodies donne souvent au chant un caractère soit cyclique, soit ondulatoire.

Syllabes Non Significatives

On constate l’usage immodéré de stéréotypes comme les particules vides, les syntagmes figés en association avec des formules rythmo-mélodiques, toutes faites. Cette tendance à l’expansion narrative se fait parallèlement à une expansion mélodique (Musilingue I, P228), elle est très fréquente en Haute Bretagne.

6. C’est le signe de l’extrême contrainte des systèmes qui ne peuvent être distendus que par l’introduction de phonèmes et de segments musicaux internes ou, le plus souvent, externes au système.

De même l’usage de syllabes vides, en remplacement de parties de vers manquantes, forme dans le chant des refrains internes ou ritournelles. Cette fonction est dite complétive, elle est largement utilisées.

Toutes ces combinaisons se font en réseau, c’est-à-dire par la succession de deux, trois ou quatre syllabes s’associant à des segments mélodiques par identité parfaite, homologie ou parallélisme.

Selon les cas enfin on trouvera des schèmes rythmiques, issus de durée, d’intensité voire d’intonations de la langue parlée, assez bien respectés dans le chant. Dans les enfantines les finales sont, comme dans la langue, longues et accentuées. Cependant, le jeu musical se développant, ces matrices sont inconsidérément répétées et se modifient par le jeu cérébral des symétries, des asymétries, des parallélismes de hauteurs, des reflets de structures ou formes en miroir. Des schémas musicaux de durée ou d’accents, qui sont alors régis par une pulsation régulière, peuvent être appliqués à la langue et former des contre-sens linguistiques, des voyelles longues peuvent être écourtées (cf en Flamand) ainsi que des syllabes non accentuées.

Ces effets de contrastes sont inconsciemment ressentis par les auditeurs comme des écarts à la langue dont la valeur musicale est avant tout émotionnelle et vaut celle, littéraire, des tropes. La musique et ses effets peuvent ainsi se mémoriser et servir de déclencheur à la fois à une mémoire sémantique des textes ainsi qu’à des émotions.

Conclusion Cet effort qui me porte vers une plus grande scientificité de l’esthétique des chants populaires, procède plus par constats quantitatifs et numériques, et davantage d’une anthropologie de type sémiotique que de l’interprétation intuitive et irrationnelle qui caractérise l’herméneutique. L’étude de la musique des chants — que nous envisageons comme système sémiotique de représentation et de communication — est un projet qui se développe lentement au fur et à mesure des réflexions d’ordre théorique qui ont le mérite d’affiner les descriptions formelles et la connaissance des chants.

Il s’agit — pour terminer sur une note quelque peu philosophique —, de mieux définir ce qu’Hégel appelle l’Art comme apparence. Les mondes musicaux des apparences sont

7 des mondes de signes comme nous le montrons tout au long de nos articles et ouvrages. Ils consomment et transcendent la réalité, le chanteur imprimant sa culture à la nature biologique de la musique. Ce qui est compris dans la perception esthétique de l’oeuvre d’Art, ce sont des signes de l’existence. Les processus artistiques se déroulent comme des édifications sélectives et hiérarchisantes qui se fondent sur des répertoires matériels schématisés.

Une meilleure prise en considération du sujet chantant, par le biais des méthodes de la pragmatique, me tente actuellement. Elle va sans doute m’obliger à effectuer des contre-enquêtes afin de mieux prendre en considération des éléments de perception et d’intentions que les chanteurs ne manifestent pas souvent de manière explicite.

8 LEXIQUE des définitions figurant dans les articles Bricolage 119 Changement Doc. n°30 :11 Classe d’Équivalence 290 Cognitif Communauté symbolique Contenu (analyse) 198 Critère musical 453 Culture 89 Dominance 196-7 Durée Énonciation 181 Esthésique 188 Ethnolinguistique Ethnomusicologie 229 Ethnologie 163 Fait social total 165, 188, 230 Fonctions 451 Formes symboliques 188, 240, 401 Formulaire 181-197 Folklore 181-82 Folklorisation 170 Genres 448,415-26 Gigantisation 255 Inférence 483 Interdisciplinarité 443 Intégration sociale 267 Interprétant 185-95 Métonymie Métrique Modèle 455 Module 316 Musilingue 177 183, 232,494 Octosyllabe 280 Période 275 Pertinence 447 Phonologie 33 Phrase musicale275-92 Poïétique 188 Poétique 189-93 Répétition 198 Référence Rézeptiontheorie 201 Rhème 409 Rite 402 Rythmique Schéma 299 Sémantique (charge)183 Sémiosis 195 Sémiotique 167-68,239 Sens 195 Signe 185, 240 Signification 195 Structuration (2ble) 196 Strophe mélodique 279 Symbolisme 263 Synecdoque Système 299 Timbre 194 Type 291 (forme) 449 Transformation Tropes Validation 311 Variation 184