Les Sables-d’Olonne, l’histoire intime de la mer et des hommes

De Witno
Aller à : navigation, rechercher

Le port des Sables-d’Olonne se dresse tel un phare, une escale sur la côte vendéenne et projette aux hommes du XXIe siècle les us et coutumes des gens de mer d’hier à travers l’histoire que nous nous efforçons de transmettre par écrit et bientôt visuellement à travers un centre d’interprétation entièrement dédié aux gens de mer sablais et baptisé NACéO1. Ce port au passé millénaire contient, enfoui au plus profond de lui-même, le legs culturel de générations de marins qui ont franchi, de tout temps et par tous les temps, les jetées du port olonnais2. Que reste-t-il dans la mémoire collective des us et coutumes de cette communauté maritime et comment conserver et transmettre ce patrimoine aux futures générations ? L’objectif de nos travaux est de livrer et remettre à l’honneur la mémoire vivante de ces hommes qui travaillaient à bord dans des conditions pénibles, de ces femmes qui se pressaient à l’appel de la corne à l’usine de conserves de leur quartier et de ces mousses, frêles bambins de dix ans qui partaient vers le large, vers cet inconnu idéalisé et fantasmé. La chanson rythmait malgré tout leur vie aussi bien à terre qu’en mer d’ailleurs, cette joie ainsi extériorisée servait-elle d’exutoire à cette vie de labeur démarrée très tôt ? Probablement. Si les navigants quittaient les quais pour de lointaines campagnes, d’autres gens de mer sédentaires restaient aussi à quai tout en travaillant néanmoins pour la Marine : charpentiers et constructeurs de navire, forgerons de marine, voiliers et poulieurs tous détenteurs d’un formidable savoir-faire transmis de génération en génération et appris de manière empirique soit sur le pont même du navire, soit sur les cales de la Cabaude3. Ces hommes dans leur ensemble furent porteurs d’une histoire mais aussi d’une culture commune que nous devons, à notre tour, transmettre aux générations futures. Certes des chants sont aujourd’hui largement connus et très populaires à l’image du célèbre « Partons la mer est belle », hymne consacré en territoire sablais mais que l’on chante aussi outre-Atlantique chez nos lointains cousins québécois. C’est ici l’une des particularités de ce peuple de marins que de lier les peuples et les cultures à travers le monde. D’ailleurs, entre Les Sables et Terre-Neuve, il n’y a que l’Atlantique à traverser ! Les marins c’est une évidence ont navigué sur toutes les mers du monde : le transport des marchandises les a amenés à ouvrir leur espace, leur horizon au-delà des pertuis. Ces hommes ont rapporté de leurs périples des chants, des airs communs aux peuples de la mer qu’ils se sont plu à chanter dans une taverne qu’elle fut méditerranéenne, sablaise ou bretonne. Le temps de service militaire a pu aussi créer cette acculturation universelle par un brassage populaire d’hommes venus d’espaces géographiques différents mais unis par un même métier lié à la mer.

Que l’on songe à Paul-Emile Pajot, ce marin chaumois, né en 1873 qui s’est fait le chantre de ses semblables. Il a su évoquer leur quotidien de misère à travers ses « cadres », ses peintures de navires mais aussi de naufrages comme pour mieux immortaliser et graver dans la mémoire des hommes les heures sombres de ce peuple de la mer qui berce toutes ses pensées. Quand il ne peint pas la mer et les bateaux, Pajot plus connu sous le sobriquet de Gueurlet’ sur les quais de la Chaume et dans les cafés qu’il fréquente, compose des poèmes, des complaintes, des hymnes à ces Géants de la mer. Qu’un naufrage se produise en vue des côtes chaumoises et aussitôt le barde prend sa plume sergent major pour évoquer dans son Journal le drame qui s’est joué sous ses propres yeux et l’émotion qui s’en est dégagée. Pajot est un reporter des faits et gestes de la communauté maritime. Aux drames maritimes (le vibrant poème de la Croisine par exemple) succèdent des chants plus joyeux, plus légers ; c’est aussi cela l’univers des marins qui, à l’image du ressac, passe d’un état d’âme à un autre. Il se fait plus joyeux par exemple quand il décrit l’équipage de La Jean-Madeleine et qu’il tourne en dérision le « père Poiroudia ». Cette culture populaire, vernaculaire a dépassé le « cadre » local puisque Pajot, remarqué par Albert Marquet, exposa à Paris en janvier 1925 sous la bénédiction incontestable du critique d’art Jean Cocteau. Avec cette exposition, on franchit les antipodes de deux mondes que tout oppose : le monde clos des pêcheurs de la Chaume et le monde des artistes parisiens réunis ici par un marin attiré par la peinture, la poésie, le chant, la musique, un peintre dit « naïf ». Un touche-à-tout que ce Paul-Emile ! Presque un siècle après sa mort survenue en septembre 1929, Pajot résonne encore à La Chaume. Ses gouaches colorées, ses vagues japonisantes à la Hokusai sont comme un hymne au labeur de ces hommes, une chanson de mer inspirée et inspirante qui unit en une même communion les amoureux de la mer et des hommes de mer. Pajot narre par la peinture et l’écriture les faits et gestes de sa communauté. Il sait combien leur vie est rude et c’est ainsi que son journal se fait l’écho du quotidien souvent tragique toujours rude de ces hommes et femmes qui ont connu les grandes heures de la marine à voiles. Comment rester insensible au réalisme de ses portraits maritimes ? Car pour Pajot, le tableau est le reflet d’une réalité, d’un équipage, d’un navire réel qu’il soit dundee ou barque, canot à misaine ou navire de guerre ; un navire qui raconte une histoire, l’histoire d’une communauté qui a vécu un événement1. Le marin a aussi cela de particulier c’est qu’il se sent – peu ou prou – à l’aise partout. Cette façon d’être et de s’adapter facilement aux situations font partie intégrante de sa culture intime et, tout comme les hommes, le port des Sables a su lui aussi défier, au fil de son histoire, les affres du temps et les cycles qui se sont succédé. Certes chaque époque a apporté son lot de contraintes et/ou de prospérité mais les Sablais ont su rebondir, on dirait aujourd’hui faire résilience, et surtout redynamiser leur port dont voici en quelques lignes les grandes phases. L’histoire du port d’Olonne s’est initialement basée sur le commerce du sel dès l’Antiquité et cette activité commerciale a duré tout au long du Moyen âge, époque à laquelle les grandes abbayes du secteur comme celle d’Orbestier développent et exploitent les marais salants, source d’une grande richesse. Au fil du temps, le havre d’Olonne va bénéficier du déclin du port de Talmont et s’ouvrir au monde à la faveur de Louis XI qui y crée un port franc en décembre 14722. Dès lors le destin des Sables, à l’abri de la dune d’Olonne, va se dissocier de la myriade des micro-ports médiévaux situés le long de son havre comme à La Roulière ou La Girvière. Un port en eau plus profonde va pouvoir accueillir de plus grands navires destinés à la haute mer. La présence du sel aux portes d’Olonne va surtout permettre aux armateurs de tenter l’aventure du Grand Banc de Terre-Neuve dès le début du XVIIe siècle. La ville des Sables va alors se développer, prendre son indépendance spirituelle d’Olonne (1622) et armer en 1664 jusqu’à 74 navires. Jusqu’à la mort de Louis XIV, le port des Sables se hisse en tête des ports d’armement francais à la morue verte et ses marins jouissent d’une excellente réputation sur les vaisseaux du roi3. Au cours du XVIIIe siècle, les guerres maritimes à répétition contre les Anglais vont ruiner les armements si bien qu’en 1792 pour les dernières campagnes morutières, il ne reste plus que sept navires à partir pour le Banc. La Grande pêche est de fait « mise au ban ».

Vingt ans plus tard, au retour de la paix, le port doit se trouver une nouvelle manne, une nouvelle activité pour repartir sur d’autres bases durables. C’est entre 1840 et 1870 que le port sort de sa torpeur et entame son renouveau. Durant ces « Trente Glorieuses sablaises » différents facteurs s’entrecroisent pour assurer un développement rapide et révolutionnaire : ouverture d’une poissonnerie (1833) et des premières conserveries de poisson (1838), travaux d’envergure dans le port (1845), creusement d’un bassin à flot baptisé Napoléon III, déplacement des cales de construction navale sur la Cabaude (1855), arrivée du chemin de fer (1866). C’est véritablement l’entrée dans l’économie de la sardine qui va propulser le renouveau, la métamorphose du port des Sables à l’image de ce que vivent à la même période Douarnenez ou Quiberon1. Quand Colin adapte le procédé de Nicolas Appert à la sardine en 1824 à Nantes2, il était loin de s’imaginer que de cette découverte allait provoquer une révolution des ports Atlantiques dans lesquels le port nantais installe des filiales de ses grandes maisons de commerce. Ce port qui pêche la sardine depuis le XVIIe siècle va en faire sa spécialité en remplacement de l’activité morutière. Les usines seront au nombre de douze en 1870. Situées pour l’essentiel dans le faubourg de La Chaume, elles vont organiser cette société maritime et polariser une main-d’œuvre d’hommes et de femmes attirée par le travail ; une population de migrants venue pour l’essentiel du marais breton s’établit dans le port des Sables à partir de 1840. C’est ainsi que des familles issues du marais entre Saint-Jean-de-Monts et Saint-Hilaire-de-Riez vont faire souche dans le quartier chaumois et participer au décollage économique et démographique tant attendu. Paul-Emile Pajot en est l’exemple même. Ses grands-parents étaient originaires de Saint-Hilaire-de-Riez arrivent à La Chaume en 1837 que Joseph Pajot s’inscrit marin à La Chaume délaissant celui de Saint-Gilles. Un mouvement est en marche : le quartier de La Chaume devient dès lors un quartier sardinier actif, vivant et important sur le plan numérique. Ce peuple de marins, cosmopolite, vit au rythme de la pêche et des débarquements et chante pour se donner du cœur à l’ouvrage. Si le métier de marin était difficile et éprouvant tout comme la vie de l’époque, la chanson, le travail et la solidarité de cette communauté maritime permettaient de supporter avec un peu plus de légèreté les exigences d’une vie de labeur entièrement dédiée à la mer.

Hervé Retureau, Docteur en Histoire, CRHIA Nantes Patrimoine maritime, Ville des Sables-d’Olonne