Ouvrir le menu principal

Witno β

De Port-Breton à Port-Joinville

Révision datée du 5 octobre 2022 à 08:30 par OPCI (discussion | contributions) (Page créée avec « == De Port-Breton à Port-Joinville == L’île d’Yeu a connu au cours des quatre derniers siècles, de nombreuses évolutions qui ont entrainé de multiples aména... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Sommaire

De Port-Breton à Port-Joinville

L’île d’Yeu a connu au cours des quatre derniers siècles, de nombreuses évolutions qui ont entrainé de multiples aménagements de son port principal, Port-Joinville. Récemment, au cours du mois de décembre 2021, la déconstruction de son chemin de halage, communément appelé l’Estacade, en est l’un des derniers épisodes. Comme si on voulait effacer les traces de son glorieux passé …

Les origines de Port-Breton

L’île d’Yeu se caractérise par un littoral contrasté. La côte ouest/sud-ouest, face à l’océan, se présente comme une suite de falaises déchiquetées soumises aux vents dominants tandis que la façade est/nord-est, plus abritée, se tourne vers le continent en offrant un long cordon de plages et de dunes. Le port le plus ancien, sous l’antiquité, fut établi au sud de l’île, au village de La Croix mais les assauts de la mer eurent raison des structures portuaires sans doute modestes1. Sur cette même côte un abri naturel permettait d’accueillir des petites barques, mais il faudra attendre le XIXème siècle pour que la Meule ne devienne véritablement un port, fréquenté uniquement pendant la belle saison. Seule la côte qui fait face au continent favorisa le développement d’un endroit sûr, à l’abri des vents dominants. La position de l’île d’Yeu était connue de tous les caboteurs qui longeaient les côtes. Pierre Garcie-Ferrande dans son célèbre livre de navigation reproduit la silhouette de l’île avec le clocher caractéristique de Saint-Sauveur. Dans un rapport de la fin du XVIIIème siècle, un commissaire de la Marine écrit que cet amer « a toujours été jusqu’à présent le point d’atterrage de tous les bâtiments venant de long cours, aucuns ne sont plaints de son insuffisance. » Dans un rapport de la même époque, il est précisé  à propos du port : « Le Port-Breton, situé sur la côte nord de l’Isle Dieu est le seul endroit où il soit permis de mettre des bâtiments à couvert ; il peut en contenir trente à quarante de 20 tonneaux et au-dessous ; sa forme est à peu près celle d’un demi-cercle d’environ 190 toises de diamètre ; les habitants aidés par leur seigneur, ont profité du local et ont construit des quais en jettées pour dissimuler les efforts de la mer.»


La plus ancienne jetée se limitait à une chaussée courbe, en pierres sèches, posées de champ, s’élevant à peine au-dessus de la haute mer. Elle était destinée à préserver les barques des coups de vent venus du Nord. Cette digue demeura jusqu’au XXème siècle et prit le nom de Cale à la mère Rastoueix où venaient accoster les sardiniers bretons. Les vagues contournaient le Cap-Enragé par fort vent de Nord-Ouest pour se heurter à la  Chaussée. Le fond du port est constitué d’un sable vaseux produit par les ramollissements du rocher et l’amalgame des boues provenant des habitations voisines. Cet ouvrage fut complété sur l’autre côté du port par un Vieux-quai constitué d’énormes blocs de pierres, juxtaposés sans mortier. Il fermait avec le rocher du Gargouillard la première enceinte. Les plus anciennes mentions de ce port remontent au XVème siècle. Le 11 novembre 1425, un baleinier d’Olonne, « Dieu-le-Gart », armé en « façon de combattre les anciens ennemis du roi de France », se trouvait devant Port-Breton et fut attaqué par un baleinier anglais. Ce nom de Port-Breton signifie-t-il qu’il a été fondé par des « pirates venus du Nord et des Bretons qui ont longtemps fait trafic au port qui porte leur nom », comme l’écrit le curé Joussemet? Ou tout simplement parce que sa position sur le rivage nord de l’île offrait une rade sûre pour les barques bretonnes qui y relâchaient en grand nombre, comme elles empruntaient, plus au sud, le  Pertuis breton en se rendant à La Rochelle.

Un grand port d’armement au cabotage

Les XVIIè et le XVIIIè siècles correspondent à l’apogée du commerce de cabotage des barques de l’île d’Yeu. Port-Breton était alors un port d’affrètement de plus de 150 barques, dont l’activité était principalement le transport du vin de Bordeaux. Il était aussi un port de relâche pour tous les navires qui, longeant le littoral, fuyaient les corsaires ennemis ou se protégeaient du mauvais temps. Cette fréquentation assidue de son port imposa d’édifier un nouveau quai,  le Quai neuf, et de sécuriser sa rade. Les seigneurs de l’île construisirent deux forts bâtis de chaque côté : le fort Blainville au nord-ouest et le fort Saint-Jean au sud-est.

La plupart des bâtiments qui pratiquaient le cabotage étaient des chasse-marée ou des lougres, tous construits sur le continent : en Bretagne, à Quimper, Quimperlé, dans les ports du golfe du Morbihan et notamment à Auray, mais aussi à La Roche Bernard, à Nantes ou encore à Pornic. Les bourgeois les faisaient construire aussi dans les ports du Bas-Poitou : à Saint-Gilles et aux Sables d’Olonne. Á l’île d’Yeu, les seuls chantiers étaient des chantiers de réparations avec charpentiers et calfats. Ces barques étaient possédées par des bourgeois généralement originaires de l’île d’Yeu. L’équipage était composé d’un maître quatre ou cinq matelots et d’un garçon ou mousse. Mais ces marins étaient soumis depuis les Ordonnances de Louis XIV au service du roi sur ses vaisseaux au rythme d’une année sur trois…toute leur vie ! Cette terrible astreinte ne fut pas sans effet sur le développement de la Marine Royale, sur le commerce français mais aussi par voie de conséquence, sur la mortalité des marins tant sur les vaisseaux que dans les arsenaux.

En raison du nombre très important de ses barques, l’île d’Yeu peut être considérée comme l’un des premiers ports d’armement au cabotage de l’Atlantique sous l’Ancien Régime. Mais son isolement en mer la coupa des trafics commerciaux du continent. L’affrètement des navires ne put donc se réaliser que dans les ports de la « grande terre » et tout particulièrement dans ceux de Bordeaux et de Nantes. A la fin du XVIIè siècle, Bordeaux était le plus grand port d’affrètement des barques de l’île d’Yeu. L’île d’Yeu était à la fin du XVIIè siècle de loin le port d’armement au cabotage le plus important pour les relations entre Bordeaux et le reste de la France. Pour l’ensemble du commerce de Bordeaux, il était le second derrière Amsterdam mais avant Rotterdam. Au précieux vin de la région bordelaise, il fallait ajouter les produits de la vallée de la Garonne, mais aussi les tuiles, le brai, etc. Nantes jouait un rôle nettement moins important, le grand port de la Loire apparaissant surtout comme un relais avec les ports bretons comme Redon, puis les ports de la Manche et parfois de la Mer du Nord. Quand les périodes de calme politique se présentaient et lorsque le temps était favorable, les barques de l’île se risquaient parfois dans les ports anglais comme Bristol ou comme dans les ports irlandais de Cork. Ce commerce officiel était doublé d’un fructueux commerce de contrebande de tabac…l’île comme les autres îles de mer du Bas-Poitou (Noirmoutier et Bouin) bénéficiait en effet d’une exonération de taxe sur le sel et surtout sur le tabac. Les marins de l’île tirèrent un maximum de profit de ce privilège en approvisionnant de façon illégale les ports du continent en tabac. Mais les conditions générales de la navigation furent néfastes à la prospérité du commerce de cabotage : les trop nombreuses guerres maritimes mobilisèrent et tuèrent de nombreux marins ; par ailleurs, la présence quasi permanente des corsaires perturba le trafic marchand le long du littoral. La période révolutionnaire avec notamment l’occupation anglaise en 1795, puis l’instauration du Blocus continental sous l’Empire accentuèrent ce déclin. Certes, Napoléon jugea plus prudent de renforcer la défense de l’île en envoyant une garnison pour prévenir un nouveau débarquement anglais mais tous ces événements provoquèrent un désintérêt pour l’entretien des ouvrages portuaires.

La renaissance du port : Port-Joinville, port de pêche

La menace anglaise voguait toujours au large, comme un danger intemporel ! C’est pourquoi, le gouvernement français prit la décision de d’améliorer les conditions d’accueil de Port-Breton en se lançant dans une politique de grands travaux qui s’étalèrent sur plusieurs dizaines d’années, de 1834 à 1880, en deux périodes, donc bien au-delà de la menace britannique. Il édifia dans un premier temps un brise-lames pour contrer la force des vagues venues du nord-ouest puis construisit en deux fois, de l’autre côté du port, une jetée qui se prolongea par un chemin de halage pour permettre aux bateaux à voile de sortir du port. Symboliquement, Port-Breton changea de nom et prit en 1846, celui de Port-Joinville1, en hommage au fils du roi des Français, Louis-Philippe qui porta une attention tout à fait particulière à ces aménagements. Comme la construction de ces ouvrages modifia l’entrée du port, il fut indispensable d’édifier trois phares d’alignement, sur le musoir du Grand-quai (1835) qui prit le nom de quai de la Tour; le phare de la rue des Mariés (1845), et enfin à l’extrémité du brise-lames(1878). Paradoxalement, au moment où Port-Joinville devenait un vrai port de relâche pour les navires, le cabotage déclina inéluctablement. En effet, l’essor du chemin de fer vint concurrencer puis presque anéantir la circulation fluviale et le commerce maritime de cabotage. Ces efforts réalisés sur plusieurs dizaines d’années auraient été presque inutiles si les ports de pêche n’avaient connu un essor considérable grâce aux découvertes conjuguées de Nicolas Appert et de Joseph Colin pour les conserveries alimentaires. Ces innovations vont provoquer un essor de la pêche tout au long des côtes atlantiques depuis la Bretagne jusqu’au Pays basque. Les pêcheurs qui, jusqu’alors, se contentaient d’une pêche vivrière, faute de pouvoir conserver le poisson, se lancèrent dans une pêche beaucoup plus intensive. Les « coureaux » abondaient en sardines et attirèrent les pêcheurs bretons qui, à la belle saison, s’installèrent à Port-Joinville pour approvisionner les usines. De leur côté les marins de l’île d’Yeu, armèrent des dundées, construits pour la plupart aux Sables-d’Olonne, et partirent au large pêcher le thon blanc « germon2 ». Ainsi, le chemin de fer qui avait provoqué la ruine du cabotage, devint un atout essentiel pour le développement de la pêche et notamment dans l’approvisionnement des usines de l’île d’Yeu à partir des ports du continent. Entre les deux guerres, Port-Joinville était devenu l’un des tout premiers ports de pêche au thon blanc et exploita jusqu’à cinq usines de conserveries en même temps : Bouvais-Flon(1877-1980) Amieux (1889-1970), Saupiquet (1891-1949), Béziers (1912-1953), Paulet (1936-1948). Par ailleurs, les eaux insulaires, riches en crustacés, incitèrent les marins de l’île à développer une pêche côtière qui profita, elle aussi, du chemin de fer depuis Fromentine pour instaurer un fructueux commerce de mareyage. Le port de la Meule, le seul sur la façade Ouest, fut aménagé par la construction d’un mur reliant le rocher de « Gueule de Chien » à la falaise et d’un quai pour permettre aux caseyeurs de débarquer leur pêche. Cependant la Meule, malgré tout peu sécurisé, resta presque inoccupé l’hiver, en raison des fortes tempêtes par vents de Suroît.

Nouveaux enjeux après 1945 pour la pêche et le tourisme

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Port-Joinville abandonna totalement la pêche à la sardine et arma essentiellement des thoniers-chalutiers et toute une flottille de caseyeurs. L’évolution de la flottille exigea une nouvelle transformation du port. Par ailleurs, les prémices du développement touristique imposèrent une nouvelle organisation des quais. La construction du quai Martin en 1953-1954 permit aux caboteurs de décharger les matériaux de plus en plus nombreux pour une population en pleine croissance. La Cale de la Mère Rastouex, vestige du port des origines, fut démolie. Jusqu’à cette époque, Port-Joinville était un port d’échouage et se vidait totalement à la marée basse. Il fallut entreprendre un creusement du bassin principal puis plus tard de la passe pour permettre aux bateaux de naviguer plus aisément. La mise en œuvre d’une glacière pour les cales des bateaux provoqua la construction, au-delà de l’estacade, d’une nouvelle darse en 1968, réservée aux professionnels de la pêche. Face au développement de la navigation de plaisance, on construisit à l’extérieur du port, derrière l’estacade, un bassin qui lui est exclusivement réservé, équipe de pontons avec tous les aménagements nécessaires aux navires de croisière. Cette construction eut pour conséquence d’obturer l’estacade et d’anéantir les effets conjugués du brise-lames en provoquant au fond du port un ressac considérable. Pour l’éviter, il fut nécessaire de prolonger le brise-lames en le sécurisant par un immense terreplein qui se transforma en parc de stationnement pour les voitures et en zone d’atterrissage pour un hélicoptère. Ce bassin réservé à la navigation de plaisance fut très rapidement saturé et agrandi en 1996-97. Enfin, pour faciliter l’arrivée de plus en plus massive des touristes et des vacanciers, un nouveau quai remplaça le Vieux-quai où s’étaient établis les chantiers navals et la forge. La gare maritime quitta le quai du Canada pour laisser la place à une grande criée à poissons et s’installa sur ce nouveau quai.

La position avantageuse de l’île d’Yeu, au large des côtes avait favorisé l’installation des usines de conserverie, car elle se situait sur la route des zones de pêche notamment du thon blanc. Avec l’évolution des bateaux équipés d’un moteur et d’une cale réfrigérée par la glace, cette relative proximité ne comptait plus et les bateaux eurent intérêt à débarquer leur poisson directement dans les ports du continent. Progressivement les usines fermèrent après la guerre. Malgré un sursaut local avec la création de la SPAY, la conservation industrielle disparut en 1993. Les techniques de pêche évoluèrent aussi1. Le tangon laissa la place à l’appât vivant qui nécessitait un équipage plus nombreux. Mais à partir des années 1970, il fut remplacé par les chaluts pélagiques. Un mode de pêche toutefois rapidement abandonné car il abîmait le poisson. A nouveau, le bateau changea de silhouette et ramassa ses formes métalliques tournées désormais vers sa poupe pour traîner un chalut. En 1985/86, les thoniers de l’île d’Yeu utilisèrent le filet maillant-dérivant ; son succès attira aussitôt les foudres des pêcheurs espagnols et des mouvements écologistes qui obtinrent de l’Union Européenne son interdiction en 2001. Dans un dernier sursaut, face aux multiples directives européennes de plus en plus contraignantes et à l’incompréhension de la plupart des responsables politiques, les marins de l’île d’Yeu poursuivirent leur volonté de vivre de leur métier. Ils utilisèrent des palangres dérivantes puis se lancèrent à la pêche à la senne2. Mais à nouveau, il fallut renoncer. Aujourd’hui quelques thoniers continuent de pêcher non seulement le thon blanc mais aussi le thon rouge, soit avec des tangons ou à la palangre car ces poissons de ligne sont considérés comme de meilleure qualité. Aujourd’hui, la criée de l’île d’Yeu a cessé de fonctionner et, chaque soir, un navire de servitude, le Maxiplon rassemble la production islaise pour être vendue à la criée des Sables-d’Olonne. L’île d’Yeu est une nouvelle fois confrontée à une profonde mutation. Grand port de cabotage aux XVIIè et XVIIIè siècles, il est devenu l’un des principaux ports thoniers de la façade atlantique au XXè siècle. Aujourd’hui, sa flottille hauturière se limite à quelques 9 unités qui pêchent le merlu, le thon rouge et blanc, le lieu jaune et la sole… La pêche côtière rassemble une vingtaine de bateaux qui pratiquent la pêche aux crustacés, aux bars, rougets, lotte… Tandis que les bassins réservés à la pêche sont de plus en plus déserts, les pontons du port de plaisance ne peuvent accueillir tous les bateaux l’été. L’île d’Yeu est donc à la croisée des routes. Saura-t-elle prendre un nouveau cap qui associe tradition et modernité ?

Jean-François Henry