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Les Guerres de Vendée

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L'abbé Joseph Bonnet, Vicaire de Saint-Martin-des-Noyers noyé en Loire le 16 novembre 1793.

Tous les prêtres, victimes de la révolution, ne sont pas morts guillotinés. Beaucoup ont péri à Nantes dans les eaux de la Loire. Parmi eux se trouvaient au moins 2 prêtres vendéens: l'abbé Joseph Bonnet, Vicaire à Saint-Martin-des-Noyers, dont nous allons raconter l'histoire, et l’abbé de Meyracq, Vicaire à La Bernardière (La Bernardière appartenait, avant la révolution, au diocèse de Nantes).

Joseph Bonnet naquit à Montaigu, le 18 mars 1751. Son père était marchand de drap. De sa famille, on ne sait pas grand-chose, sinon qu'elle était très chrétienne (deux cousines de l’abbé Bonnet furent victimes de leur foi intrépide. Modeste Déléard fut guillotinée à Nantes le 18 mars 1794 ; sa sœur fut noyée dans la Loire à une date inconnue). On ignore également ce que fut la jeunesse du futur martyr.

Une « petite santé »

L'abbé Joseph Bonnet fut ordonné prêtre en 1776, à l'âge de 25 ans . De santé plutôt délicate, il ne put rester bien longtemps dans les différents postes où on le plaça comme vicaire . Il dit lui-même, à plusieurs reprises, interrompre son ministère pour aller se reposer dans sa famille . Il fut d'abord vicaire à Saint-Georges-de-Montaigu, en 1776, puis à Saint-Denis-la-Chevasse, en 1778. Deux ans de repos, et l'abbé Bonnet devient vicaire au Poiré-sur-Vie, en 1780, puis à Saint-Etienne-du-Bois, en 1781 . On perd ensuite sa trace pendant 7 ans : il était sans doute chez lui, essayant de refaire une santé toujours défaillante. Au début de 1789, on le retrouve à Saint-Martin-des-Noyers . Il y passe du reste 3 semaines à peine . Incapable, semble-t-il, de s'adonner au ministère, il se retire à Montaigu, dès le mois de mars 1789. Cependant, son dernier titre le suivra désormais partout : il sera inscrit sur les registres d'écrou de ses nombreuses prisons en qualité de «  vicaire de Saint-Martin-des-Noyers ».

De prison en prison

L’abbé Bonnet fut-il astreint au serment de 1791 ? En principe il ne devait pas l'être, puisqu'il n’exerçait, à l'époque, aucune fonction (au début de 1791, le vicaire de Saint-Martin-des-Noyers est un certain Madé, originaire de Saint-Prouant. Ce Madé fera le serment). Il vivait alors comme « prêtre habitué » à Montaigu mais cette petite ville, dirigée par une bourgeoisie révolutionnaire, faisait comme beaucoup d'autres : elle appliquait les lois à sa manière. La municipalité mit l’abbé Bonnet, bien que malade et inemployé, en demeure de prêter le serment. Il y avait, en ce temps-là, à Montaigu, 3 paroisses, donc 3 curés, plus une collégiale de sept chanoines. Tous refusèrent le serment (le curé de Saint-Nicolas, M. Poulain, fut fusillé par les Bleus et jeté dans la Maine ; quatre des chanoines sur sept seront massacrés par les Révolutionnaires). L'abbé Bonnet suivi leur exemple. Il devint, pour l'administration, un insermenté.

Pourquoi le jeune vicaire quitta-t-il alors Montaigu pour aller à Nantes ? Était-ce pour mieux se soigner ? Était-ce pour échapper aux tracasseries de ses concitoyens ? Toujours est-il qu'il se trouvait dans cette ville, lorsqu'il fut appréhendé, le 5 juin 1792, avec cent deux autres prêtres, et interné au séminaire Saint Clément.

Désormais, pendant dix-sept mois, l’abbé Bonnet va passer de prison en prison, et ses geôles seront de plus en plus dures. A Saint-Clément, le régime reste encore humain. Les détenus peuvent recevoir des visites, se promener dans le jardin, et chaque matin, célébrer la sainte messe.

Mais, bientôt, la situation s'aggrave. À Paris, la journée du 10 août a mis fin à la royauté. Le protecteur officiel des prêtres, Louis XVI, est enfermé au Temple. On décide alors à Nantes de transférer les détenus de Saint-Clément au Château, sous prétexte que la surveillance y sera plus facile .

La vieille demeure des anciens ducs de Bretagne, à la fois palais et forteresse, situé sur les bords de la Loire, reçoit ses nouveaux locataires, le 16 août. Tout de suite la vie s'y révèle plus pénible qu’à Saint-Clément : les visites sont interdites. Les prisonniers ne pourront même pas, pendant un certain temps, dire leur messe.

Le 7 septembre 1792, grand branle-bas dans le château : un greffier notifie aux internés la récente loi du 26 août, condamnant à la déportation les insermentés. Les prêtres se regardaient avec stupeur.

« Vous pouvez, leur dit le fonctionnaire, échapper aisément à cette peine : prêter le serment et vous serez libre » 

Il se fit un grand silence. Le greffier compris : ce silence était un refus. « Vous avez jusqu’à demain, déclara-t-il, pour réfléchir. Vous préciserez demain ce que vous aurez choisi : le serment, la déportation en Espagne, ou la prison ici. »

L'abbé Bonnet n'avait que 42 ans, mais il était malade ; il pouvait donc demander à rester interné en France. Il préféra cependant s'exiler. Le lendemain, à l'appel de son nom, il déclara : « Je veux aller en Espagne. »

Parmi les ecclésiastiques détenus dans les geôles nantaises, cent soixante-deux autres optèrent eux aussi pour l'exil, espérant y trouver plus de liberté qu'en France. Sur ce nombre, quatre-vingt-dix-sept furent conduits à Paimbœuf et embarqués, le 14 septembre, à destination d'un port espagnol . Pourquoi l'abbé Bonnet demeura-t-il au château ? Fut-il oublié ? Sa santé toujours précaire s'opposa-t-elle au départ ? On ne le saura jamais

Aux Carmélites

Tous les prêtres non déportés devaient être réunis dans une seule prison. Cette prison fut l'ancien couvent des carmélites, situé non loin de la cathédrale. On groupa là une centaine de vieillards, d’infirmes et de malades. Ces malheureux formaient un navrant tableau de la misère humaine. La plupart avaient atteint l'âge de la retraite ; beaucoup réclamaient des soins appropriés à leur état. Or, tout manquait : infirmerie, remèdes, chauffage. L'abbé Bonnet resta sans soin, dans cette geôle nouvelle, du 10 septembre 1792 au 5 juillet 1793, soit pendant trois cents jours . Trois cents jours sans visite, et, probablement, sans messe. L'autorisation de célébrer avait été retirée aux captifs. Quelques-uns , cependant, se procurèrent, en cachette, les objets nécessaires. Monsieur Bonnet fut-il du nombre ? Rien ne permet de l'affirmer.

De temps à autre, la porte de sa prison s'ouvrait : c'était pour laisser entrer de nouveaux détenus. En septembre 1792, l'abbé Bonnet vit arriver le curé de Saint André Treize Voies Lequimener (M. Lequimener, âgé de soixante-trois ans, mourra en prison, le 13 décembre suivant). Le 19 février 1793 le vicaire M. Peigné (l’abbé Peigné devint fou et mourut en prison comme son curé), rejoignait son curé.

Le 27 avril 1793 M. de Meyracq, ancien vicaire de La Bernardière, pénétra à son tour, entre deux gendarmes, aux Carmélites. L'abbé Bonnet remarqua-t-il ce prêtre de quarante-deux ans, arrêté dans sa famille à Nantes ? Non, sans doute. Ils devaient mourir, ensemble, quelques mois plus tard, de la même affreuse mort .

Mais en cette fin d'avril 1793, aucun des prisonniers ne songe au martyre. Plusieurs se laissent aller au contraire à de douces espérances. Depuis plus d'un mois, La Vendée s'est soulevée. L’insurrection s'étend, au sud de la Loire, jusqu'aux portes de Nantes. L’abbé de Meyracq , très entouré au début, apporte à ses compagnons de captivité de réconfortantes nouvelles. Tout le bocage appartient aux vendéens ; on dit leurs armées formidables. Pourquoi ne viendraient-ils pas jusqu’à Nantes ? La Bretagne, assure-t-on aussi, n’attend qu’un signal pour se rebeller. À Nantes, dit M. de Meyracq, les autorités s'affolent et croient voir, chaque matin, les « Brigands » à leurs portes.

« Pourquoi les appelle-t-on « Brigands » ? s’informe quelqu’un. - C'est, explique M. de Meyracq ,un surnom que leur ont donné les Révolutionnaires. - C'est bien à eux, remarque un détenu, à qualifier les autres de « Brigands »! Brigand signifie voleur. Or, il me semble qu'en fait de vol (la Révolution avait confisqué les biens du clergé et ceux des émigrés) les Révolutionnaires savent leur métier ! Mais, par ailleurs, qui commande les vendéens ? - Un homme du peuple, Jacques Cathelineau, du Pin en Mauges. On le dit très capable ; ses gens le nomment le Saint de l'Anjou. On parle beaucoup aussi de MM. d'Elbée et de Bonchamps. Le bocage vendéen obéit à M. de Sapinaud, et le marais de Challans à M. de Charette. La région de Bressuire suit un jeune homme de vingt ans : M. Henri de la Rochejaquelein - Fasse le Ciel qu’ils nous délivrent bientôt ! ».

Le 28 juin, les prisonniers crurent arrivée l'heure de la libération. À 2h 30 du matin, ils furent brusquement réveillés par un grondement sourd, venant du Sud. En hâte , les captifs se mirent aux fenêtres.

« C'est peut-être un orage ? chuchotait une voix angoissée . - Ce n'est pas un orage : voyez, le ciel est pur. C'est le canon ! »

C'était, en effet, le canon de Charette, qui attaquait le faubourg de Pont-Rousseau. Mais, au bout de quelques heures, le grondement se tut. Les captifs tendaient en vain l'oreille : le combat semblait se terminer par un échec (selon le plan des chefs vendéens, l’attaque des troupes de Charette, de Bonchamps et de Cathelineau, devait être simultanée. Or, Charrette se trompa de jour, et attaqua 24 heures trop tôt. Se voyant seul, il se retira). Brusquement, le lendemain matin, le même roulement puissant se fit entendre. Cette fois, il venait de l'est. Au bruit du canon se mêlait le crépitement plus grêle de la fusillade. Le tumulte se rapprochait d'heure en heure.

«  Ils avancent ! Ils avancent ! » Hélas ! Vers 7 ou 8h, le fracas de la lutte diminua d'intensité ; il parut s'éloigner et s'éteignit enfin complètement (c’était Bonchamps qui attaquait à l’est. Cathelineau n’arrivant pas à l’heure prévue, Bonchamps, craignant d’être encerclé, se replia). Ce fût, pour la seconde fois, une amère déception. « Ils n'y arriveront jamais gémit quelqu'un . Nantes est trop bien défendue ! »

Soudain, vers 10h, le canon recommença à tonner, très loin, au nord de la ville. Son roulement, continue et formidable, parvenait comme un écho affaibli aux prisonniers. De toute évidence, l'assaut principal s'opérait par la route de Rennes (Cathelineau, retenu assez longtemps, à Nort, au passage de l’Erdre, ne put arriver devant Nantes qu’après le départ de Bonchamps. Il aurait cependant emporté la ville d’un élan irrésistible, sans la balle qui le frappa, place Viarme). Les détenus, anxieux, prêtaient l'oreille.

« Il me semble qu' ils se rapprochent" disait l’un.

L'espoir renaissait dans les cœurs . Puis, le tumulte lointain cessa. L’artillerie se taisait, mais, dans les rues même de Nantes, une énorme rumeur grandissait. Les plus valides des captifs, grimpés aux greniers, voyaient des groupes de soldats, sans armes, courant l'air égaré. Quelques-uns des fuyards criaient : « Sauve qui peut !»

Le fracas du combat repris bientôt, beaucoup plus proche. Les Vendéens entraient dans la ville. « Cette fois ça y est ! Ils sont vainqueurs !»

« Ils arrivent place Viarme », jugeait M. de Meyracq. Les prisonniers, le cœur battant, s'attendaient, à tout instant, à voir les Vendéens déboucher dans les rues voisines des Carmélites. Or, leur attente fut, une fois encore , trompée. L'avance des Vendéens semblait stoppée , place Viarme. Le bruit de la bataille parut s'éloigner. Il fallut se rendre à l'évidence : les assaillants, pour une cause inconnue, reculaient.

Ce fut, pour les prêtres détenus, une amère constatation. Après avoir tant espéré, se retrouver plus enserrés que jamais dans ses vieux murs ! Et subir, le soir, les ricanement des gardiens. Le matin, ils tremblaient, verts de peur. Maintenant, ils insultent les captifs désolés. Ils leur braillent sous le nez le « ça ira » et «la Carmagnole !»

Dansons la Carmagnole, Vive le son ! vive le son ! Dansons la carmagnole, Vive le son du canon !

À bord de « La Thérèse »

L'attaque des vendéens eut, pour les prêtres détenus aux Carmélites, des conséquences imprévues. Sous prétexte de les soustraire à une délivrance éventuelle, on les transféra, le 5 juillet, sur une galiote, ancrée dans le port, et nommée « La Thérèse ». Le transfert s’opéra si rapidement que les prisonniers durent laisser leurs effets personnels aux Carmélites. Pour accentuer encore leur dénuement, une fouille fut faite, le 7 juillet, sur le bateau même. On enleva aux malheureux le peu qui leur restait. On les entassa, du soir au matin, dans la cale de la galiote où ils étouffaient. Un rapport du commissaire Gaudin dépeint comme suit la prison flottante où, pendant 10 jours, l'abbé Bonnet fut enfermé.

« L’air y est tellement lourd et épais, qu’à une faible distance une chandelle allumée ne s'aperçoit que comme dans un nuage. Les détenus attendent avec impatience le lendemain pour ouvrir les panneaux qui leur interceptent toute communication avec l'extérieur. « De l'air ! donnez-nous de l'air ! » est le cri général. Leur situation fait frissonner. Plus de vingt malades poussent des cris affreux pendant la nuit ; ils sont couverts de plaies gangrenées ; ils gisent dans la fange parce qu'on ne peut ni les soulever, ni les changer, n’ayant d'autre lit que les planches. »

On devine quelles souffrances l'abbé Bonnet , déjà malade, dut endurer sur cet infect bateau. Le peuple nantais apprit le sort déplorable fait aux prêtres par leurs bourreaux. Des murmures s’élevèrent.

« On veut faire périr ces malheureux ! disait-on. C’est abominable ! »

La municipalité elle-même finit par s'émouvoir… à cause des épidémies possibles. Elle ordonna d'enfermer les prisonniers dans l'ancien couvent des Petits Capucins. Ce nouveau déménagement eut lieu du 19 juillet au 7 août.

Aux Petits Capucins

Les prêtres se retrouvèrent au nombre de quatre-vingt-neuf dans le couvent désaffecté. Leur sort, comparé à celui qu'ils avaient connu sur « La Thérèse », était moins misérable. Cependant, quelle détresse encore ! La municipalité, hargneuse, regrettait d'avoir à nourrir ces bouches inutiles. Elle allouait à chaque détenu 25 sous par jour. C'était juste de quoi ne pas mourir de faim ! Les prisonniers ne faisaient plus qu'un repas par jour. Leur économe, M. Douaud, de Tiffauges, ex-chanoine de Nantes, avait beau réduire les rations, acheter les mets les moins chers, il n'arrivait pas à dépenser pour chacun moins de 30 sous par jour !

À plusieurs reprises, M. Douaud écrivit à la municipalité, essayant de l’apitoyer. Il dépeignait ses malheureux compagnons, vieux et infirmes pour la plupart, « vivant sans feu ni lumière, dans des greniers ouverts à tous les vents ». Ce fut peine perdue. On chercha des histoires aux détenus. Plusieurs lavaient eux-mêmes leurs pauvres nippes et les mettaient à sécher aux fenêtres. On prétendit qu'il faisait des signaux aux Vendéens de la rive gauche. Cependant, un nouveau supplice menaçait les captifs. Le 9 octobre, le représentant Carrier arrivait à Nantes. Cette brute sanguinaire, ivre la moitié du temps, haïssait les prêtres. Carrier ordonna d'enfermer les ecclésiastiques détenus aux Carmélites dans l'un des navires du port. Là-dessus, il partit rejoindre l'armée révolutionnaire qui guerroyait vers Cholet.

L'ordre de transfert jeta l'abbé Bonnet et ses malheureux compagnons dans la consternation. Ils avaient gardé, de leur bref séjour sur « La Thérèse » , un cruel souvenir. La seule perspective d'aller s'entasser derechef entre les flancs d'un bateau les terrorisait. Ils supplièrent leur économe d'écrire aux administrateurs du département pour les prier d'avoir pitié d'eux.

Nous sommes bien mal logés, ici , expliquait en substance le chanoine Douaud ; notre situation aux Petits Capucins est des plus misérables, nous manquons de pain, de feu, de lumières et de vêtements. Pourtant, ce bâtiment ouvert à tous les vents est un paradis, comparé au bateau où l'on veut nous enfermer. De grâce, citoyens , laissez-nous mourir ici. Nous sommes, pour la plupart , vieux et malades ; nous ne vivrons pas bien longtemps. Permettez que nous finissions nos tristes jours dans ce couvent. Nous ne demandons rien d'autre !

La pétition des prêtres était si humble, leur angoisse si manifeste qu'elle toucha les administrateurs. Le 17 octobre, ils décidèrent de laisser les détenus aux Petits Capucins.

À bord de « La Gloire »

La joie des malheureux fut de courte durée. Le 20 octobre, Carrier revenait. Le Représentant s'était conduit avec une lâcheté honteuse à la bataille de Cholet (17 octobre). Il avait pris la fuite à la première attaque des Vendéens. Il arrivait maintenant, gonflé d'importance après la victoire de Kléber. Tout de suite, Carrier s’informa : « Et les prêtres ? Dans quel bateau les a-t-on enfermés ?

« Citoyen Représentant, les prêtres ont supplié qu'on les laissât mourir en paix dans leur couvent. Le département a cru pouvoir accéder à leur requête ». Carrier conféra un affreux juron ! Quand il était saoul et en colère il était hideux et terrifiant !

« Comment ! hurla-t-il, on a osé me désobéir? Qui commande ici ? moi ou le département ? La pétition des prêtres ? mais je m'en moque ! Qu'on les transporte immédiatement sur un bateau. Sinon, gare la guillotine ! »

Une vieille galiote, «  La Gloire » flottait sur la Loire, en face de la Sécherie. Le transfert s'effectua le 28 octobre. Des petits Capucins au fleuve, il n'y avait pas loin : les jardins du couvent descendaient, par gradin , jusqu'au bord de l'eau. L'endroit étant peu habité, on ne risquait pas d'émouvoir la population nantaise . Cependant, quelques fidèles, avertis, assistèrent, le cœur navré, au passage du lamentable cortège .

Lamentable , certes ! « On imagine, dit un historien, ce que fut cette descente en troupe espacée , suivant les forces de chacun; têtes branlantes, cheveux blancs, tailles courbées , jambes fléchissantes : un capucin de quatre-vingts ans, le P. Kermoran ; un autre octogénaire, l’abbé Lemercier, prêtre de Guérande; un curé de Nantes, bien connu de toute la ville, l'abbé Fleuriau, qui avait soixante-dix-neuf ans ; l'ancien recteur de Gorges, M. Dugas, qui en comptait soixante-dix-huit ; deux infirmes, l’abbé Briand et l’abbé Lamarre ; un autre, jeune , l'abbé Leroy, tanguant sur deux béquilles; au total quatre-vingt-dix, portant sous le bras tous leur avoir en un petit paquet, se soutenant, s'entraident, poussés par les soldats, activés par le commissaire Viaud qui préside à l'embarquement .(Lenôtre : Les Noyades de Nantes, p. 37. Le chiffre exact des prêtres était quatre-vingt-six et non pas quatre-vingt-dix.)

C'est dans ce pitoyable cortège que s’intégrèrent les vicaires de Saint-Martin-des-Noyers et de La Bernardière. L'abbé de Meyracq affirme la tradition, chantait d'une voix forte le quantique du Père de Montfort :

Je mets ma confiance Vierge, en votre secours, Servez-moi de défense, Prenez soin de mes jours. Et quand ma dernière heure Viendra fixer mon sort Obtenez que je meure De la plus sainte mort.

Les prêtres n'en doutaient pas : ils allaient à la mort. Ils ne savaient pas quel serait ce genre de mort ; mais la chose importait peu : ils étaient prêts.

Ce ne fut pas sans peine que les vieillards et les infirmes furent hissés sur la galiote. A peine grimpés ou tirés dessus, on les enferma dans la cale , noire comme une tombe.

Le jour même, Carrier supprimait l'allocation de 25 sous attribuée jusque-là aux prisonniers. On se demande de quoi les malheureux subsistèrent pendant les dix-neuf jours qu’ils passèrent entassés au fond du sombre bateau.

Préparatifs secrets

Carrier avait son idée: il allait noyer ces prêtres. Il fit part de son plan à deux bandits, ses amis intimes : Fouquet et Lamberty. Celui-ci avisa, dans le port où elle pourrissait, une vieille gabare, qu'il acheta 200 livres. Sur ses ordres ,un certain Baudet pratiqua de larges ouvertures au flanc du bateau , ouvertures que des ouvriers masquaient aussitôt avec des planches. Une femme considérait, assez intriguée, ce curieux travail. Elle s'informa :

« Que faites-vous là ? Pourquoi creuser des trous pour les boucher ensuite ? - Cela ne vous regarde pas, citoyenne. Si vous voulez absolument savoir, demandez au citoyen Carrier . - Je m'en garderai bien. -Alors, faites comme nous. Ne cherchez pas à savoir ; et taisez-vous. »

Il fallut 15 jours, pour achever l'ouvrage. Lamberty venait, de temps à autre, inspecter et presser les travaux. Il s'arrêtait quelquefois sur le bord du fleuve, non loin de la galiote où les quatre-vingt-six prêtres se trouvaient entassés. Un sourire diabolique effleurait alors ses lèvres : le misérable jouissait à l'avance en imaginant ce qui, bientôt , allait se passer .

La gabarre est enfin prête. Mais pourquoi tarde-t-on à y faire monter les victimes ? Carrier et Lamberty hésiteraient-ils devant l'horreur du crime ? Non ! un crime n’arrêtera jamais les deux bandits. Seulement, ils le savent très bien : aucune loi ne condamne ces prêtres à mort. Si puissant qu'il soit, Carrier n'a pas le droit de noyer, sans jugement, ces malheureux. L'exécution qui se prépare est illégale.

Carrier voudrait que Lamberty opérât sans son ordre. Lamberty, prudent, attend, pour agir, l'ordre de Carrier. Et il veut un ordre écrit. Carrier s'emporte, il jure comme un damné. Mais il faut en finir . Carrier signe un papier qu'il tend à son complice. Ce papier portait : « Permis aux citoyens Fouquet et Lamberty de passer partout où besoin sera avec un gabareau chargé de brigands, sans que personne puisse les interrompre ni troubler dans ce transport. »

Ce n'était pas un ordre formel , mais une simple permission . Lamberty dut cependant s’en contenter. Au fait, que risquait-il ? À la convention, la faction montagnarde l'emportait. Partout, aux frontières comme en Vendée, la révolution était victorieuse. Qui oserait jamais réclamer des comptes aux noyeurs de prêtres ?

La noyade

Le 16 novembre, vers 10h du soir, les prisonniers entassés sous le pont de « La Gloire », commencent à s'endormir, lorsque, brusquement, sur leur tête, la trappe fermant leur cachot s'ouvre. Une voix rude les appelle :

« Levez-vous tous ; prenez vos affaires ; on va vous transporter ailleurs . »

Un soupir de soulagement s'échappe de l'entrepont. Enfin ! on va quitter cet infect bateau ! Déjà des têtes émergent sur le pont. « Où nous conduit-t-on ? - Au château de la Musse, près de Chantenay. Vous serez très bien là-bas. »

Les captifs s’empressent : ils ont tellement hâte de quitter leur geôle flottante ! mais Lamberty se fâche : « Ne sortez pas tous à la fois ! clame-t-il. Deux seulement, d'un coup . »

À mesure que les prêtres, docilement, se présentent, on les fouille. On prend leurs effets, sans brusquerie d'ailleurs, et avec une certaine politesse : « Donnez vos paquets ; on vous les rendra au château de la Musse. Je m'excuse, dit Lamberty, mais j'ai ordre de vous attacher deux à deux. Ce ne sera pas long. »

Sans protester, les prêtres se laissent lier par les poignets. Le poignet droit de l’un est ligoté avec le poignet gauche de l'autre. Un second bateau se trouve amarré au flanc de la galiote. On y fait descendre les couples, qu'on range, sur trois files, dans la cale.

C'est le bateau préparé par les soins de Lamberty. Il fait, dans cette cale, absolument noir. Peu à peu, la gabare s'alourdit, sous le poids des nouveaux arrivants. Elle s'enfonce. Ici et là, des filets d'eau froide giclent à l'intérieur : les ouvertures pratiquées par Baudet ont été mal fermées. Il semble aussi que l'eau sourd du fond de la cale. Ces constatations ne laissent pas que d'inquiéter les prisonniers.

Messieurs dit l'un d'eux, curé de Machecoul, je crois que nous ferions bien de nous préparer à la mort. (On connait les détails de cette noyade par le récit du seul rescapé, l’abbé Landeau, curé de Saint-Lyphard.)

Serait-ce possible ? Tout à l'heure on espérait. Mais l’eau s'insinue partout. Les prêtres envisagent soudain le pire : ne veut-on point les noyer ? Un murmure de prières s'élève dans la cale obscure. Les malheureux se confessent réciproquement et se donnent l'absolution. Sait-on jamais ?

La gabare est pleine. Des coups de marteau retentissent sur le pont : on cloue la trappe d'entrée. Pourquoi la clouer si on va au château de la Musse ! « Mes frères dit une voix, notre dernière heure est venue. Nous allons mourir, noyés, pour la cause de Dieu. »

On entend, au dehors, des ordres : « tout est paré. Laissez-aller ! »

Et le bateau-prison commence à glisser, lentement, au fil de l'eau. Les prêtres prient à voix basse ; ils écoutent, l'angoisse au cœur. Soudain, dans la nuit ,un cri retentit : « Qui-vive ? »

C'est un factionnaire, le canonnier Wailly qui interpelle. La voix de Lamberty répond : « Commandant nous montons à bord. »

Carrier avait, précédemment, interdit la sortie de tout navire ancré dans le port de Nantes. Wailly, apercevant, au clair de lune, la gabare glissant sur le fleuve, exécutait sa consigne. Il y eut une violente altercation entre Lamberty et Wailly, l’un prétendant passer, l'autre refusant le passage. Les prêtres percevaient les échos d'une dispute. Lamberty s'emportait :

« Je veux passer et vous ne m'en empêcherez pas. - Vous ne passerez pas. Les consignes sont formelles. - J'ai les ordres du représentant Carrier. - Montrez les ! »

Lamberty, hors de lui, sacrait comme un roulier, il sortait son sabre :

« Laissez-moi passer ou je vous coupe en morceaux !

- Je n'ai pas peur de vous, répliquait Wailly ; si vous avez des ordres, montrez-les. ».

Lamberty fini par exhiber le papier signé par Carrier. Wailly s'inclina. « Vous pouvez aller. »

Et le bateau continua sa glissade, escorté par le canot monté par Lamberty et ses hommes.Cela dura un quart d'heure peut-être. Un quart d'heure d'anxiété et de prières.

Soudain, du dehors, des coups sourds retentirent sur le flanc de la gabare. Les complices de Lamberty défonçaient, à la hache, les ouvertures pratiquées par Baudet. Aussitôt, des coulées d'eau glacée jaillirent à l’intérieur. Un cri d'angoisse s'éleva du bateau. À ce cri répondirent des blasphèmes et les ricanements de Lamberty .

« C'est le moment de faire un miracle ! » gouaillait le misérable. La trappe fermant le pont fut soulevée. Un homme dégringola à l'intérieur. « Qu'est-ce qui se passe ? ricana-t-il; mais qu'est-ce qui se passe ? C'est un naufrage ! Pas possible ! Ces messieurs vont se noyer comme des rats ! Faut les sauver ! »

Et, par dérision, avec une poêle percée, poêle à frire les châtaignes, le bandit faisait mine de vider l'eau hors du bateau ! L'eau montait. Les condamnés la sentaient qui gagnait leurs genoux, puis leurs reins. Ils s'enfonçaient, inexorablement, dans la mort.

Il y eut un dernier cri, une rumeur confuse plutôt, que Wailly, de son poste d'observation , perçut nettement, et la gabare, chargée de quatre-vingt-six prêtres-martyrs, coula au fond du fleuve. Pendant quelques instants, un petit remous à la surface de l'eau marqua l'endroit du naufrage. Puis, la Loire reprit son cours tranquille vers l'Océan .

Ainsi périt, le 16 novembre 1793, l'ancien vicaire de Saint-Martin-des-Noyers, le maladif abbé Bonnet.

Le lendemain, Carrier communiquait le fait à la convention, en termes voilés, qu'il croyait spirituels : « Un événement d'un genre nouveau, écrivait-il, semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres : quatre-vingt-dix, de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires, étaient enfermés dans un bateau sur la Loire. J'apprends à l'instant, et la nouvelle en est très sûre, qu'ils ont tous péri dans la rivière. »

Il y aura une seconde noyade de prêtres, le 9 décembre : cinquante-trois insermentés y périrent. La Terreur régnait à Nantes ; personne n'osait souffler mot. Ce silence enhardit Carrier et ses émules. Le procédé paraissait excellent ; il était plus rapide et plus discret que la guillotine; il économisait la poudre. Bientôt les noyades devinrent une opération courante. Les prisons, encombrées de Vendéens, après Savenay, se vidèrent , chaque nuit, dans la Loire. Des milliers de malheureux disparurent, de la sorte, sans jugement.

L'abbé Bonnet fut le premier Vendéen noyé par le sinistre Carrier.

Sources : Biographie, par le chanoine Boutin ; Les noyades de Nantes, par G. Lenôtre. Extrait du livre « Prêtres-Martyrs » de M. le Chanoine A. Billaud paru en 1957

Les Noyades de Nantes

La consigne du Château, beaucoup plus sévère que celle de Saint-Clément, enlevait complètement aux détenus la consolation de recevoir leurs amis. Les médecins eux-mêmes ne pouvaient pénétrer que sur la présentation d'un permis délivré par les commissaires municipaux. Les ouvriers devaient se faire connaître par leurs patrons. Deux barbiers, nominativement désignés, avaient néanmoins le droit d'entrer. Une barrière, "pour contenir les prêtres", fut peu après établie sous la voûte vis-à-vis le corps de garde. (Alfred Lallié - Les noyades de Nantes). Le 8 septembre, Joseph-Thomas Bonnet déclara qu'il voulait aller en Espagne. Il ne partit pas néanmoins, puisqu'on retrouve son nom sur la liste des prêtres enfermés aux Carmélites. Conduit sur le navire La Gloire, le 28 octobre 1793, il fut noyé dans la nuit du 16 au 17 novembre. La Revue du Bas-Poitou et des provinces de l'Ouest - 18ème année - 1ère livraison - 1905

Alfred Lallié, dans son ouvrage Les Noyades de Nantes, nous rapporte les détails de cette horrible nuit où Joseph-Thomas Bonnet a trouvé la mort : Les prêtres étaient à bord de La Gloire depuis environ trois semaines, lorsque le 26 brumaire (16 novembre 1793), Fouquet et Lamberty, accompagnés de plusieurs autres, vinrent durant la nuit établir un corps de garde dans l'auberge de la femme Pichot, à la Sécherie. De là, ils se transportèrent à la galiote où étaient les prêtres. "La femme Pichot les vit amener une sapine ou chaland, dans lequel des charpentiers faisaient des ouvertures, sans connaître leur usage, suivant le rapport qui fut fait par eux ; que cela lui fit croire que c'était pour noyer les prêtres, qui le furent effectivement." Le bateau avait été acheté deux cents livres par Lamberty. Comme il n'y avait pas encore de charpentier attitré pour les noyades, ce fut à un constructeur nommé Baudet que l'on s'adressa, afin d'en obtenir des ouvriers pour préparer le bateau. "Deux inconnus étaient venus, au nom de la loi, le requérir de fournir des ouvriers pour la confection des sabords d'une gabare, qui, disaient-ils, devait être conduite dans une petite rivière, et fermer par ce moyen le passage des rebelles". On n'osait pas encore dire tout haut ce dont il s'agissait. Un canonnier nommé Wailly, qui était, dans la nuit du 26-27 brumaire an II (16-17 novembre 1793), de faction à bord du ponton de la Samaritaine, stationné devant la Sécherie, et qui assista à l'évènement, l'a raconté ainsi : "Environ minuit et demi, huit particuliers de moi inconnus se sont approchés du bord dudit ponton, montés sur un canot ; je les ai hélés, et, au mot de : "Qui vive !" il m'a été répondu : "Commandant, nous allons à bord." En effet, ils se sont approchés et m'ont demandé la liberté de passer avec un gabareau, qu'ils me dirent être chargé de quatre-vingt-dix brigands (que j'ai su depuis être quatre-vingt-dix prêtres). Je leur ai répondu que la consigne qui m'était donnée était de ne laisser passer aucun bâtiment, que l'on ne m'apparaisse d'ordre supérieur. Sur ma réponse, l'un de ces individus, nommé Fouquet, me menaça de me couper par morceaux, parce que, ajouta-t-il, lui et sa troupe étaient autorisés à passer partout sans qu'on pût les arrêter. Je leur demandai à voir leurs pouvoirs ; ils obéirent et me présentèrent un ordre conçu à peu près en ces termes, et signé Carrier, représentant du peuple : "Permis aux citoyens Fouquet et Lamberty de passer partout où besoin sera avec un gabareau chargé de brigands, sans que personne puisse les interrompre ni troubler dans ce transport." Muni de l'ordre du représentant Carrier que Fouquet et Lamberty venaient de me présenter, je ne crus pas devoir insister davantage ; en conséquence les particuliers montant le canot et le gabareau contenant les individus passèrent sous la batterie du ponton où j'étais en faction, et un quart d'heure après j'entendis les plus grands cris partir du côté des bateaux qui venaient de se séparer de moi, et, à la faveur du silence et de la nuit, j'entendis parfaitement que les cris de ceux que j'avais entendus auparavant étaient ceux des individus renfermés dans le gabareau, que l'on faisait périr de la façon la plus féroce. Je réveillai mes camarades du poste, lesquels, étant sur le pont, ont entendu les mêmes cris, jusqu'à l'instant où tout fut englouti." Le gabareau se brisa-t-il sur le bord, emporté par la violence du courant, ou bien les bourreaux, novices encore, avaient-ils oublié de clouer les panneaux du pont ? Chacune des deux hypothèses est vraisemblable, puisque quatre des victimes échappèrent à la mort, et que plusieurs corps de noyés furent, le lendemain ou le surlendemain, retirés de l'eau par l'équipage d'un navire. Des quatre prêtres qui échappèrent, l'un était le recteur de Corsept et se nommait Thomas Lacombe ; l'autre était un prêtre de Sainte-Croix, M. Brianceau ; le nom du troisième est resté inconnu. "Ils avaient été roulés sur le port et recueillis avec humanité par les matelots, qui leur donnèrent leur eau-de vie pour les réchauffer." Le quatrième, M. Landeau, curé de Saint-Liphard, emporté d'un autre côté, accosta une barque de pêcheurs où on le cacha si bien qu'il survécut à la Terreur. (Alfred Lallié - Les Noyades de Nantes)

La Famille Puaud de la Brenauderie

Le village de la Brenauderie dépend de Saint-Martin-des-Noyers. Il est situé à l'ouest du bourg, dans la direction de la forêt des Essarts. C'est là qu'habitait, à l'époque de l'insurrection, Pierre PUAUD, père de la vieille Vendéenne qui documenta le curé Hillairet ... La famille Puaud était nombreuse : trois générations habitaient sous le même toit. Pierre Puaud était âgé de seize ans ; Jean, son père, en avait quarante-cinq ; le grand-père, Jean-Baptiste, était presque octogénaire.

A la Brenauderie, la tranquillité n'avait point été troublée pendant la première période de la guerre, grâce à la protection de l'armée du Centre qui, dès le début, avait tenu en échec les troupes républicaines venues du côté de Luçon et de Fontenay. Après la dislocation de l'armée protectrice, dislocation qui coïncida avec le passage de la Loire, cette partie du pays, comme d'ailleurs le Bocage tout entier, se trouva sans défense ; mais toutes les forces dont pouvait disposer la République ayant marché à la poursuite de la Grande Armée, le calme continua à régner jusqu'à ce que celle-ci eût été définitivement écrasée à Savenay, le 24 décembre.

Au mois de janvier 1794, les colonnes infernales envahirent la contrée et ce fut alors seulement que commença pour les malheureux habitants, jusque-là épargnés, la période des incendies et des massacres. Le village de la Brenauderie devait être éprouvé entre tous. Ce matin, il est tout à coup envahi par une colonne qui met le feu aux maisons, s'empare des gens qui n'avaient pas eu le temps de se sauver, puis, froidement, s'acharne à torturer le gibier : telle était la cynique expression dont se servaient les massacreurs pour désigner leurs victimes. Les bourreaux commencent par le grand-père Puaud. Ici je copie textuellement le manuscrit rédigé par le curé Hillairet, sous la dictée d'Hortense Puaud, et gracieusement mis à ma disposition par son détenteur, M. le comte de Chabot :

"Au plus fort de la guerre, le village est envahi un jour par les Bleus, qui se livrent à leurs atrocités ordinaires. Ils saisissent le vieillard, lui passent une corde au cou et l'entraînent au bord d'une fosse. Pendant plus d'une heure ils lui font faire le tour de la fosse en le frappant et l'injuriant. Ils le menacent de l'y jeter s'il ne veut pas crier : Vive la République ! Mais à chaque sommation, il répond hardiment : Crève la République ! Sans cesse il faisait son signe de croix, croyant à chaque instant qu'on allait l'achever. A la fin les Bleus l'étranglent et le noient dans la fosse." Après le vieillard, ce fut le tour de son fils JEAN, père de Pierre et grand-père d'Hortense Puaud. Le manuscrit poursuit ainsi : "JEAN PUAUD, âgé de quarante-cinq ans, saisi par les soldats en même temps, fut invité à crier lui aussi : Vive la République ! A chaque fois qu'on lui disait : Allons ! crie donc Vive la République ! il répondait : "Y ne hucherai jamais votre République, je suis un bon chrétien !" On le menace de le sabrer : "Je le veux bien, dit-il, mais laissez-moi dire un acte de contrition et faire un signe de croix". Son corps fut haché par morceaux et jeté dans la fosse avec le cadavre de son père." A peine Jean Puaud avait-il rendu le dernier soupir, que les massacreurs passèrent à d'autres victimes plus jeunes : "La fille de Jean Puaud, MARIE-RENÉE, fut sabrée en même temps. La pauvre fille s'efforçait d'amortir les coups en se couvrant la tête avec son tablier : à chaque nouvelle blessure, elle faisait un signe de croix. Son frère, François, et ses deux cousins germains, JACQUES et PIERRE PUAUD, subirent le même sort." Cela faisait six victimes d'un seul coup !

Le futur grand-père d'Hortense, Pierre Puaud, petit-fils, fils, frère et cousin germain de ces martyrs, ne se trouvait point dans le village lorsque les Bleus y firent irruption ; il arriva pendant qu'on massacrait ses parents. "A cette vue (ici encore je copie textuellement le manuscrit dicté par Hortense), il voulut fuir. Les Bleus, l'apercevant, se mettent à sa poursuite. Arrivé en face d'un haut buisson d'épines, il va être pris, les ennemis le touchent presque. Alors le pauvre garçon fait un grand signe de croix et invoque tout haut son Bon Ange : "Mon bon ange gardien, dit-il, soyez mon aide et mon soutien !" Puis il s'élance au-dessus de ce buisson très épais et très élevé. Il était temps : un des soldats lui tire un coup de fusil, un autre lui envoie un coup de baïonnette ; la balle manque heureusement son but, mais la baïonnette lui perce le talon. Le fugitif franchit le buisson ; les Bleus cessent la poursuite. Pierre rejoignit l'armée de Charette, près des Essarts. Il fit ensuite avec le héros, avec La Roberie et avec Joly, toutes leurs campagnes. Partout, racontait-il, quand nous passions devant les églises brûlées et les calvaires abattus, Charette nous faisait arrêter et nous disait de saluer avec nos sabres".

PIERRE PUAUD vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans : on voit qu'il eut tout le temps de raconter à sa fille l'horrible drame dont il avait été témoin. Il était pauvre et, comme tant d'autres, hélas ! n'eut aucune part aux faveurs dont l'ingrate Restauration se montra si étrangement prodigue à l'égard de certains régicides ! Pour tout secours, lisons-nous dans la relation dictée à l'abbé Hillairet, "il reçut une somme de cent francs qui lui fut donnée un jour par M. le comte de Chabot du Parc, qui lui dit : "Quand tu auras besoin, mon brave Pierre, reviens." Pierre ne revint pas solliciter son bienfaiteur, car, dit sa fille, il n'aimait pas à se plaindre." Jusqu'à sa mort il se ressentit de la blessure reçue le jour du massacre de la Brenauderie : "Chaque année, racontait Hortense au curé Hillairet, notre père nous faisait rogner la petite corne qui lui poussait au talon."

Notons en terminant, toujours d'après le manuscrit en possession du comte de Chabot, que le martyrologe de la Bernauderie ne se borne point aux six victimes dont j'ai ci-dessus rapporté le martyre : "Dans le village de la Brenauderie, où dix-huit membres de la famille Puaud avaient été massacrés, un maçon, nommé Jean BONNIN, fut martyrisé par les Bleus qui lui coupèrent le nez et les oreilles : surpris par La Roberie, ils s'enfuirent laissant en cet état le malheureux Vendéen."

La Vendée Historique - N2 - Février 1909 Posté par Shenandoah Davis à 11:40 - Commentaires [0] - Permalien [#] http://shenandoahdavis.canalblog.com/archives/2017/04/06/35114570.html Tags : Saint-Martin-des-Noyers - Brenauderie - 1794