Les ports de Noirmoutier : Différence entre versions
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Noirmoutier est une île. (Avertissement aux lectrices et aux lecteurs : si vous êtes du Continent, de la Grande Terre comme nous appelions chez nous les contrées situées de l’autre côté de la Baie ou du goulet de Fromentine, ne dîtes jamais à une Noirmoutrine ou à un Noirmoutrin que Noirmoutier est une presqu’île… Jamais !). Pour les marins une île offre des avantages : même s’il n’existe aucune crique ou aucun port protégé par des jetées, il y aura toujours sur la côte sous le vent un mouillage abrité où vous pourrez trouver refuge. D’autre part, notre île a une circonférence d’environ 54 km, soit la distance entre Fromentine et les Sables d’Olonne offrant de la place pour établir plusieurs ports ce qui est le cas à Noirmoutier.
Il n’y a pas de petit fleuve côtier dans l’île comme la Vie, dont l’estuaire a abrité le port de St Gilles-Croix-de-Vie, le Payré par lequel au Moyen Âge on pouvait rejoindre Talmont ou encore le Lay avec en amont le port de Moricq et plus en aval la Faute et l’Aiguillon sur Mer. En revanche nous avons trois étiers acheminant l’eau de mer jusqu’au cœur des marais salants : l’étier du Moulin qui depuis des siècles, dans sa partie aval, a accueilli barques de pêche et caboteurs, l’étier de l’Arceau et l’étier des Coëfs qui aboutissent tous deux dans l’avant-port, le havre de Luzan. Le mot étier, étér en parler local, estier ou ester en ancien français, désigne « un canal où le reflux de la mer entre » (du latin médiéval esterium issu du latin classique aestuarium, estuaire). C’est sur ces trois étiers que pendant des siècles a été chargé le sel, principale richesse de l’île avec le blé, sur de petites unités telles que les gabares, les allèges, les chattes. Ces dernières, étant amphidromes, s’adaptaient particulièrement à la navigation sur les étiers et canaux étroits, pas besoin pour elles de virer de bord car il suffisait de déplacer le gouvernail pour que la poupe devienne la proue et vice-versa. Dans le Dictionnaire de marine à voile des capitaines Pierre de Bonnefoux et Edmond Pâris (seconde édition de 1856, p.186) on peut lire à l’article chatte : « Cette sorte de navire est particulière au Croisic et à Noirmoutiers (sic). » Notons cependant que c’est en Pays de Retz et en Bouin que les chattes étaient les plus communes.
Ces bateaux de faible tirant d’eau transportaient le sel jusqu’aux grosses unités de plus de 200 tonneaux qui, ne pouvant entrer dans le port de Noirmoutier, mouillaient en rade du Bois de la Chaise.
Sommaire
- 1 La rade du Bois de la Chaise.
- 2 Le port de Noirmoutier
- 3 La chaussée Jacobsen
- 4 Un port de commerce et d’échange
- 5 Le port et la construction navale
- 6 Le port de l’Herbaudière
- 7 Une digue et un abri pour les pilotes et les sauveteurs
- 8 Un port de pêche
- 9 L’époque des conserveries
- 10 La pêche aux crustacés
- 11 La création de la Criée
- 12 Une base du sauvetage en mer
- 13 Un port arrivé bien trop tard : le port de Morin.
La rade du Bois de la Chaise.
Dans l’île de Noirmoutier le mouillage le plus sûr depuis des siècles en dehors des ports protégés par des jetées, est la rade du Bois de la Chaise, signalée de nos jours par une bouée d’eaux saines. Son heure de gloire fut la grande époque où les capitaines de la Hanse germanique à partir des années 1360 venaient mouiller tous les ans pendant l’hiver et le début du printemps à Bourgneuf et à Noirmoutier pour y charger sur leurs cogues bordées à clins puis sur leurs hourques, le sel de nos marais que les commerçants hanséatiques appelaient le Baiensolt, le sel de la Baie (Die Baie). 1 Au XIVe siècle les Anglais, les Espagnols, les Hollandais côtoyaient également les Allemands. L’historien Patrick de Villepin dans un livre paru en 2013, Labaya: Noirmoutier, Yeu, baie de Bourgneuf & côtes vendéennes - Cartes marines depuis 1313, a pu démontrer que le mot baie en français comme dans plusieurs langues européennes (bahia en espagnol, baía en portugais, bay en anglais, baai en néerlandais) vient du mot abbaye, en l’occurrence l’abbaye de la Blanche, principal amer que l’on apercevait à tribord en venant du Nord à l’entrée de la baie de Bourgneuf. Sur une carte de 1313 du cartographe génois Pietro Vesconte, l'île de Noirmoutier est appelée Labaya, l’abbaye, ce qui par déglutination a donné la baie. En 1767 plus d’un siècle après la disparition de la Hanse, le chanoine André Commard de Puylorson (1710-1769) dans sa Description topographique de l’île de Noirmoutier constatait le maintien de la rade du Bois de la Chaise comme mouillage apprécié des marins français ou étrangers : « La providence a ménagé dans l'île de Noirmoutier la rade du bois des Chesnes, vulgairement le Bois de la Chaise. Le mouillage y est bon pour des galiotes et de petits navires. Elle est même assés profonde pour recevoir des fregattes de trente à quarante canons. Ce bois des Chesnes vulgairement appellé le Bois de la Chaise couvre des anses qui sont au Nord-est de l'île. Lorsque le vent règne dans cette partie le mouillage n'y est pas bien sûr parce que les délestages de pierre que les Hollandois, Danois et autres étrangers y ont jette et continuent de jetter encore, coupent insensiblement les cables, et suivant l'expression des marins les liment tellement lorsque le tanguage des navires est violent qu'ils risquent de faire côte. J'y ai cependant vu des fregattes mouillées pendant plus d'un mois qui y ont essuies de gros tems sans souffrir d'avaries. Si cette anse étoit plus profonde et que les navires pussent mouiller plus à terre elle ferait un très bon port et une station assurée à l'abri du bois qui prottege ce mouillage contre les vents du sud, du sud-ouest et du sud-est. » 2 En 1806 le notable François Piet dans ses Mémoires laissés à mon fils dressait le même constat : « La baie de Bourgneuf […] est à découvert des vents du nord-ouest, qui y soufflent avec force et y agitent violemment la mer. Cependant la rade du bois de la Chaise offre un sûr abri contre les vents du sud, du sud-ouest et de l'ouest. Des bâtiments de huit à neuf cents tonneaux peuvent y jeter l'ancre sur fond de vase ou de gravier et s'y maintenir avec sécurité, même dans la mauvaise saison, tant que les vents ne passent point au nord. On y trouve à mer basse, dans quelques endroits, six à sept mètres d'eau. Autrefois, en temps de paix, des navires hollandais, prussiens et suédois, venaient y prendre des chargements de sel et de blé.» 3
En ce début du XXIe siècle la rade du Bois de la Chaise n’accueille plus de navires de commerce mais sert désormais de mouillage aux voiliers de la « belle plaisance » du Cercle de voile du Bois de la Chaise, des requins, des dragons, et aussi le superbe Aile 6 à bord duquel la grande navigatrice Virginie Hériot remporta la médaille d’or en voile aux Jeux olympiques de 1928. Chaque année au mois d’août s’y déroulent et cela depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les fameuses Régates du Bois de la Chaise (organisées de nouveau depuis 1990 par l’association La Chaloupe) où s’affrontent des voiliers traditionnels. L’écrivain Marc Elder dans son roman Le peuple de la mer (prix Goncourt 1913) a consacré de nombreuses pages à cet événement qui attirait non seulement les plaisanciers de la haute société mais également les marins de toute la Baie. 4 À l’issue de ces régates la flottille gagne à marée haute l’ancien port de Noirmoutier où l’attend un public fidèle d’insulaires et de vacanciers, massé sur les quais et tout le long de la chaussée Jacobsen.
Le port de Noirmoutier
Il est établi depuis le haut Moyen Âge sur l’étier du Moulin ou étier du Port, à proximité immédiate du monastère fondé par Saint-Philbert en 676 et du château-fort établi à l’emplacement de l’ancien castrum des moines, ce dernier achevé en 830 au temps des raids vikings. Au fil des siècles, des quais desservant les entrepôts des négociants furent petit à petit aménagés sur la rive nord. Une étape importante fut la réalisation de la place d’Armes devant le château vers le milieu du XVIIIe siècle, ce qui permit du côté ouest de la place la construction de l’Hôtel Jacobsen (devenu en 2019 le Centre des patrimoines maritimes) édifié entre 1761 et 1766 par le négociant Cornil-Guislain Jacobsen venu de Dunkerque en 1740. Du côté de l’orient, le négociant François Boucheron édifia son propre hôtel entre 1767 et 1770 (aujourd’hui l’Hôtel général d’Elbée). La place d’Armes, au cœur désormais du plus bel ensemble architectural de l’île, fut alors bordée au sud par un nouveau quai, le quay neuf. C’est seulement au XIXe siècle, que la rive nord du port fut entièrement protégée et régularisée par de nouveaux quais en granit (en 1826-1827). À partir de 1770, sur cette même rive nord, avait été édifiée la Grande Salorge bâtie en moellons, la Petite Salorge qui la jouxte datant du premier tiers du XIXe siècle. Toutes deux sont devenues un centre culturel en 1970. En 1834 une écluse de chasse à trois portes fut établie sur l’étier du Moulin afin de tenter de remédier au problème permanent du port de Noirmoutier, l’envasement. Mais il nous aurait fallu en outre avoir davantage recours aux cure-molles et aux marie-salopes.
La chaussée Jacobsen
Le chantier le plus important et le plus utile pour l’avenir du port fut cependant entre 1804 et 1816 la construction d’une digue, la chaussée Jacobsen, qui permit de transformer une partie des vasières de l’avant-port du Luzan en marais-salants, les marais des Grand et Petit Müllembourg poldérisés par Jean-Corneille Jacobsen (1750-1834), le fils de Cornil-Guislain (1709-1787). Désormais l’accès au port était rendu possible même par vent contraire de noroît car la longue jetée rectiligne de 1600 mètres pouvait servir de chemin de halage. Un des derniers capitaines à avoir commandé une goélette de cabotage nous avait évoqué cette pratique lors d’un de nos entretiens : « Quand les bateaux arrivaient à la jetée Jacobsen avec les vents d’boute (noroît), ils pouvaient pas monter. Ils hissaient leur pavillon et y avait toujours des vieux sur le quai qui veillaient, alors ils s’en allaient le long de la digue. C’était le pavillon français en tête de mât. Ça voulait dire : « Des bonshommes par ici ! » Alors on leur passait un filin et puis ils tiraient dessus à l’épaule. En arrivant au quai, la paye c’était deux sous et une chopine. On disait « tirer à la cordelle ». J’ai commencé quand ça finissait, parce qu’après, les bateaux à moteur sont venus. Je ne me rappelle même pas avoir remonté à la cordelle. » (Capitaine Pierre Véré (1902-1989), la Guérinière. Entretien avec Michel et Éva Penisson, le 19/08/1983.)
Un port de commerce et d’échange
Jean-Alexandre Cavoleau dans sa Description du département de la Vendée publiée en 1818 avait donné un bref aperçu de l’activité du port au début du XIXe siècle : « Le port de Noirmoutier est le premier que l’on rencontre au nord-ouest du département Sa proximité de la rivière de Loire et la bonne tenue de sa rade, fond de vase, abritée par les terres de l'île, le rendent très avantageux au commerce. Il peut recevoir des bâtiments de 200 tonneaux ; et, lorsque les travaux qui sont projetés et approuvés auront été exécutés, il pourra en contenir de plus grands. Le commerce de Noirmoutier ne consiste que dans l'exportation du sel que l’on fabrique dans les marais salants, et du bled que le sol produit. La ville principale, solidement pavée et bien bâtie, est agréable. Le caractère des habitants est naturellement porté à la gaieté. Ils sont hospitaliers ; et, nulle part, les étrangers-ne sont accueillis avec une cordialité plus franche. » . En ce début du XXIe siècle il n’y a rien à changer, nous semble-t-il, à ces deux dernières phrases… En 1892 dans la 4ème édition de son Guide du voyageur à Noirmoutier le Dr Ambroise Viaud-Grand-Marais ne consacra que quelques lignes, peu enthousiastes, au port de la Ville (c’est ainsi que les Noirmoutrins désignent leur chef-lieu de canton) : « Le port n'est qu'un étier ; malgré son écluse de chasse, il s'envase chaque jour. L'avant-port ou Luzan est borné au nord par la digue Jacobsen, qui se prolonge jusqu'au fort Larron, à 2 kil. 1/2 de la ville. En face de l'ancien fort, sur la digue opposée, a été construite une estacade. Le port ne donne plus entrée qu'a des bâtiments de 200 tonneaux ; il reçoit de 800 à 900 navires par an. Les importations s'élèvent au chiffre moyen de 2 140 tonnes, consistant en houille, bois de construction, farines, boissons, bois à brûler, denrées coloniales ; les exportations, à celui de 8 000 à 10 000 tonnes ; sel, grains, pommes de terre, fèves, pierres, cendres de varech. » Pour les familles les moins aisées de l’île le goémon offrait une source appréciable de revenus : la fabrication de la soude à partir des cendres de varech prit un grand essor au XIXe siècle. A la fin des années 1870, l’exportation de ce produit atteignait les mille tonnes par an d’après le géographe Ludovic Martinet. « Tout le monde était pauvre : mes arrière-grands-parents allaient couper du goémon, le brûler pour faire la soude puis ils allaient toucher des sous tous les quinze jours à Noirmoutier, à des gars de Pornic qui venaient en bateau le chercher.» (Joséphine Fradet (1908-2005) entretien avec E. et M. Penisson le 28.08.81 à l’Epine). Avec ces gars de Pornic on pratiquait aussi la troque qui permettait d’échanger le goémon, la soude et les cendres domestiques issues de bousas et de goémon contre du bois de chauffe et du vin.. La foire de Saint-Gilles du début septembre à Pornic voyait arriver de Noirmoutier des chaloupes chargées à couler de sel, cendre, soude, coquillages, pommes de terre et de passagers venant faire le plein de vin, de bois et… de cochons !
Outre l’exportation des productions locales le port de Noirmoutier a connu et connaît encore aujourd’hui une activité importante dans le domaine de la construction navale. On trouve dans un texte de 1660 la première attestation d’un charpentier de marine, Estienne Nau qui habitait en Banzeau. Sa famille a donné naissance à tous les chantiers de l’île entre 1660 et 1800 environ.1 À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle les chantiers jusqu’alors présents en Banzeau sur la rive nord du port furent construits désormais sur la rive sud dans la zone poldérisée du Boucaud, protégée depuis 1812-1813 par une nouvelle digue. Cette zone du Boucaud accueillit également de grandes salorges en bois, longtemps abandonnées et aujourd’hui restaurées. Deux charpentiers de marine venus du Continent, François Toublant (1854-1927) de Trentemoult et Auguste Lodovici (1875-1940) des Sables d’Olonne s’y installèrent, le premier peu avant 1900 et le second en 1903. Lorsque René Lodovici, fils et successeur d’Auguste, prit sa retraite, son chantier fut racheté par la commune de Noirmoutier et transformé en Musée de la construction navale en 1986 ; hélas ce musée ferma définitivement dès 2008. Au XXIe siècle plusieurs chantiers sont encore présents sur la rive sud dont le fameux Chantier des Ileaux où fut construite la Jeanne J, chaloupe de la Baie lancée en 2008 et restauré à partir de 2009 le baliseur Martroger III, classé monument historique. Cependant en ce qui concerne les bateaux de plaisance, les canots à moteur, les navires de pêche et la maintenance, l’activité s’est désormais majoritairement déplacée sur le port de l’Herbaudière, aujourd’hui le plus important de l’île.
Le port de l’Herbaudière
Pourquoi avoir créé un port à la pointe nord-ouest de l’île, battue des vents, alors que depuis des siècles les marins fréquentaient plutôt le port de Noirmoutier, la rade du Bois de la Chaise et aussi quelques mouillages forains à l’Epine, la Guérinière ou Barbâtre ? Pour les géographes la question de base pour comprendre la localisation d’une activité ou d’une ville est « Pourquoi là et pas ailleurs ? ». On peut répondre que la pointe de l’Herbaudière est située en face de l’estuaire de la Loire, une voie de circulation maritime majeure mais dans une zone infestée de hauts fonds et de récifs depuis le plateau des Bœufs fertile en naufrages jusqu’à la Couronnée en passant par la roche des Barjolles, le Grand Sécé et tant d’autres. Le recours à un pilote-lamaneur était indispensable or ceux-ci réclamaient depuis longtemps la construction d’un abri protecteur pour trouver refuge en cas de mauvais temps. Leur demande avait été soutenue par la Chambre de commerce de Nantes en 1840, soutien demeuré sans suite jusqu’en 1862 où fut enfin ouverte une enquête de commodo et incommodo sur un projet de port à l’Herbaudière demandé par le Conseil municipal de Noirmoutier, le Conseil général de Vendée et de nouveau la Chambre de Commerce de Nantes.
Une digue et un abri pour les pilotes et les sauveteurs
Un événement dramatique fut déterminant pour la suite du projet : dans la nuit du 24 au 25 avril 1868 le trois-mâts anglais Queen of the South fit naufrage en face de la Pointe Saint-Gildas ; le capitaine Thomas Reeves avait vainement attendu l’assistance d’un pilote. Il périt avec son épouse, ses enfants et la majeure partie de son équipage. A l’aube du 25 avril, un marin de Barbâtre, Jean Elie Chantreau (1831-1914), quitta Saint-Nazaire pour Noirmoutier malgré une mer démontée à bord de sa chaloupe la Jeune-Marie-Désirée. Avec son matelot, Pierre Alexis Guérin, il sauva au péril de sa vie trois marins anglais réfugiés sur le beaupré du navire naufragé sur la Couronnée1. Napoléon III lui accorda la Légion d’honneur et on dit à Noirmoutier que la reine Victoria, reconnaissante, offrit de l’argent pour la construction de la jetée tant espérée. Les travaux commencèrent donc dès 1869 et s’achevèrent en 1880. Mais c’est seulement en 1950 que fut réalisée la jetée est sur laquelle fut construit le nouvel abri du canot de sauvetage, abri devenu aujourd’hui une salle d’expositions et de conférences.
Un port de pêche
Un autre atout pour ce nouveau port était sa situation à proximité des grandes zones de pêche. La pêche à la sardine devint l’activité principale à l’Herbaudière où arrivèrent en nombre des marins de Groix, du Guilvinec ou de Douarnenez. Les conflits initiaux entre Noirmoutrins et Bretons s’apaisèrent lorsque qu’ils se retrouvèrent au sein des premiers syndicats créés en 1909.
L’époque des conserveries
Dans les usines il pouvait y avoir aussi une jalousie des filles de l’île envers les petites Bretonnes qui leur faisaient de la concurrence auprès des jeunes insulaires. Pas de bagarres comme chez les garçons mais des chansons pas très gentilles comme Les petites Bretonnes (sur l’air d’Auprès de ma blonde cher aux Noirmoutrins). Nous avons retrouvé ce chant dans un cahier rédigé en 1946 par une jeune ouvrière de l’Epine alors âgée de 18 ans qui, ironie du sort, épousa peu après le frère d’une de ses camarades d’usine, un Breton du Finistère…
Toutes les petites Bretonnes / Vont bientôt s’en aller / Ah quel bon débarras / Pour l’île de Noirmoutier / De ne plus voir ces garces / Rôder dans nos quartiers. Refrain : Les sales Bretonnes / Répétons-le tous en chœur / Sont bien les plus moches / Et font notre malheur.
Une première conserverie avait en effet été établie à l’Herbaudière en 1882, par la suite il y en eu jusqu’à quatre. La grande époque de la sardine s’acheva dans les années 1960. Le sommet des prises fut atteint en 1950 (1 204 t). Puis le déclin fut inexorable jusqu’en 1969 (une tonne !). Cette année-là, il ne restait plus qu’un seul sardinier dans l’île. La dernière des quatre conserveries avait fermé l’année d’avant.
La pêche aux crustacés
Alors que la sardine déclinait, la pêche des crustacés au casier poursuivait un essor qui en fit, pour quelque temps, la principale activité de pêche dans l’île (66 % des prises en 1971). Les lieux de pêche des grandes unités étaient Cordouan, les Charbonnières, Chassiron, l’île d’Yeu, Rochebonne. Cette activité déclina à son tour ; en 1969 la production des caseyeurs de l’île avait atteint 1000 tonnes, en 2018 le tonnage des crustacés vendus à la Criée de l’Herbaudière avait atteint seulement 154 tonnes.
La création de la Criée
Les principales ventes, en valeur, concernent désormais la sole, la lotte et enfin le bar. La mutation vers une poly-pêche a été facilitée par les débouchés offerts par la création de la Criée en 1980. Cette halle à marée a permis la diversification des types de pêche et entraîné une croissance de la production ce qui fait de l’Herbaudière le troisième port de Vendée (géré par la CCI) après les Sables d’Olonne et Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Rappelons qu’en 1973 le bassin est du port avait été aménagé en port de plaisance ; dès 1975 un conflit avait opposé les plaisanciers et les marins-pêcheurs qui s’estimaient moins bien traités ; ce conflit pris fin lorsque en avril et mai 1976 l’Herbaudière devint enfin un port en eau profonde grâce à un déroctage et à un dragage considérables dont les déblais servirent à constituer le terre-plein situé à l'ouest de la jetée créant ainsi une nouvelle zone d’activités.
Une base du sauvetage en mer
On ne saurait quitter le port de l’Herbaudière sans rendre hommage aux sauveteurs en mer qui y sont basés depuis 1872. Le premier canot de sauvetage de cette station, le Massilia (en service de 1872 à 1899) fut installé dans la maison-abri de la cale établie en haut de la jetée ouest alors en cours de construction. C’est seulement en 1951 que les sauveteurs en mer reçurent leur première vedette motorisée, le Georges Clémenceau en service jusqu’en 1990. Il appartenait à la Centrale de sauvetage en mer qui fusionnera en 1967 avec les Hospitaliers sauveteurs bretons créés en 1873, pour former la S.N.S.M. Dans la mémoire orale de l’île, le Massilia et le Georges Clémenceau ont été immortalisés par deux complaintes relatant pour le premier, le sauvetage des marins du trois-mâts norvégien Tyrus le 10 octobre 1878 par « Joseph Métier et son bon équipage » et pour le second, le sauvetage de l’équipage du cargo espagnol Atlante dans la nuit du 9 au 10 août 1957 sur le plateau des Bœufs. Ce dernier chant composé en 1998 par Gabriel Boucheron, un marin retraité de l’Herbaudière dont le père et l’oncle étaient à bord du canot en cette nuit terrible, s’achève par ces couplets suscitant l’émotion :
Et c'est le fils d'Alix, le neveu du patron / qui navigua aussi, un jour, comme radio, / Sur bien des océans, à bord de noirs cargos / Qui, quarante ans plus tard, a écrit la chanson. Amis, levons nos verres, ensemble saluons / Ceux qui s'en sont allés pour sauver d'autres hommes, / Au péril de leur vie ; eux qui n'étaient, en somme, / Que de braves matelots et de simples patrons.
Un port arrivé bien trop tard : le port de Morin.
Pendant longtemps le village de l’Epine, devenu une commune seulement en 1919, compta peu de marins-pêcheurs. Le Commissaire-Inspecteur Le Masson du Parc qui visita l’île en 1728 n’y trouva qu’un petit nombre de bateaux servant à la pêche ; il compta une seule chaloupe à Barbâtre, trois à La Guérinière, une à Noirmoutier, deux au Vieil, une à l’Herbaudière et une au Fier… A l’Epine comme partout dans l’île on pratiquait surtout la pêche à pied, en particulier dans des écluses à poissons en pierres comme dans l’île de Ré et l’île d’Oléron. C’est au XIXe siècle que se développa la pêche à la sardine en liaison avec les débuts de l’industrie de la conserve et la pêche au casier des crustacés. Les pêcheurs épinerins de plus en plus nombreux privilégièrent comme mouillage la rade foraine de Morin, proche des zones de pêche et de leurs maisons mais trop exposée au mauvais temps. Le 5 septembre 1883, 19 bateaux y furent détruits par une terrible tempête. Après cette catastrophe la municipalité de Noirmoutier décida en 1886 de construire un port de pêche abrité au Morin. En 1913 le financement était prêt, les travaux allaient commencer mais la Première Guerre mondiale vint tout arrêter. Dans les années 1930 le contexte de crise économique ne fut pas favorable à la reprise du projet. Les marins-pêcheurs s’impatientèrent et le 11 septembre 1938 ils adressèrent une pétition au ministre des Travaux Publics réclamant la création d’un port pour « abriter leur flottille de 80 bateaux homardiers montés par 240 hommes d'équipage. Ces bateaux d'un tirant d'eau élevé ne peuvent s'abriter dans les deux ports de l'île qui sont complètement à sec, environ 12 heures par jour, ils doivent donc fréquenter les rades foraines et fin septembre sont dans l'obligation de désarmer, d'où une période de 5 mois pendant laquelle 240 marins cherchent à gagner leur vie, par ailleurs, sans y parvenir. » L’espoir revint mais un an plus tard la Seconde Guerre mondiale commençait. Pendant plusieurs années, la rade de Morin se trouva située dans la ligne de tir des canons allemands, logés dans les deux blockhaus, nommés Scharnhorst, qui servent aujourd’hui de capitainerie et de magasin pour le port. C’est seulement en 1972 que la municipalité de l’Epine relança le projet que quatre maires successifs firent aboutir : la grande jetée ouest fut achevée en 2000 et la jetée est fut inaugurée en 2006. Ce port avait été prévu au départ et cela de longue date pour les marins-pêcheurs. Pour obtenir le financement du Conseil Général de la Vendée il fallait cependant accorder une large place aux bateaux de plaisance car notre département est le premier pôle mondial dans ce domaine. Le plan d’aménagement du 5 mai 1985 proposé par la direction départementale de l’équipement prévoyait donc d’accueillir 420 bateaux de plaisance et 48 bateaux de pêche. Hélas, ce port est arrivé trop tard : en 2022 il n’y a plus aucun bateau de pêche à Morin… Alors peut-être aurait-il mieux valu ne jamais construire ce port qui n’accueille plus que des coques en polyester difficilement recyclables finissant au mieux dans les incinérateurs des cimenteries, au pire sur les plages d’Afrique. Plus grave, la jetée ouest bloque la dérive littorale venant du nord car celle-ci alimentait en sable les plages de l’Epine ; elles ont donc partout régressé, remplacées par des enrochements battus des vagues. Si on laissait faire la nature, dans vingt ans il y aurait une dune à l’emplacement du port selon des spécialistes de l’aménagement du littoral que nous avons rencontrés. On assiste donc régulièrement à une noria de tracteurs et de camions évacuant le sable accumulé derrière la grande jetée. Année après année, quel sera le coût de ces travaux pour la collectivité ? Autre chose encore pour finir : la côte ouest de l’île au niveau de la Pointe de Devin était réputée pour la pureté de son ciel nocturne et pendant les nuits d’été elle attirait les amoureux de la voûte céleste qui marchaient pieds nus sur les pavés encore tièdes de la digue disparus aujourd’hui sous le bitume. Enfant, j’habitais au Devin et apprenais à repérer les étoiles qui guidaient nos marins en lisant le Guide des étoiles du capitaine de vaisseau Pierre Sizaire. Elles se sont peu à peu estompées, noyées par la lumière des lampadaires des quais, des embarcadères et des parkings été comme hiver. « Pauvres anciens, si vous reveniez ! » disaient souvent nos informateurs et informatrices lorsque nous collections patiemment la mémoire de l’île. Si tu revenais Louis Mandin, cher « Roi des menteurs », comment pourrais-tu nous dessiner de nouveau sur le sable de la plage les écailles en or de la jeune sirène que tu avais rencontrée autrefois au temps de ta jeunesse ? À la place de cette plage… il y a un parking.
Michel Penisson, le 20 février 2022
Bibliographie
COUTUREAU Eric et MAHEUX Hubert, Yeu & Noirmoutier, îles de Vendée, Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Nantes, ADIG, 1994, 493 p.
PIET François, Mémoires laissés à mon fils, de l’imprimerie de l’auteur, 1806, réédités et complétés par Jules Piet, 1863, Lafitte Reprint, Marseille, 1982,
PENISSON Eva et Michel, Noirmoutier. Mémoires d’une île, Editions La Geste, 2021.
VINCENT Johan, Histoire de l’ile de Noirmoutier, Editions La Geste, 2019.
Lettre aux Amis. La revue de l’association Les Amis de l’île de Noirmoutier qui publie quatre numéros par an est devenue au fil des décennies une véritable encyclopédie de l’histoire et des traditions noirmoutrines.